« En faisant le choix de montrer des scènes détaillées et très crues de torture (supplice de l’eau, privation de sommeil, passages à tabac répétés…) sans jamais les condamner, le film, qui se veut une reconstitution fidèle des 10 années de la traque de Ben Laden, banalise de fait le recours à la torture » déclare Sibel Agrali, directrice du centre de soins Primo Levi. « Durant tout le film, l’idée que le torturé est responsable de ce qui lui arrive est sous-jacente, créant une ambiguïté particulièrement nauséabonde pour le spectateur », poursuit-elle.
Si la réalisatrice Kathryn Bigelow s’est défendue dans de nombreuses interviews de faire l’apologie de la torture – de manière également assez ambiguë d’ailleurs quand elle déclare notamment « Ben Laden ne fut pas vaincu par des super-héros tombés du ciel mais par des Américains ordinaires, qui se sont battus avec courage, même s’il leur est arrivé de franchir certaines limites morales* » -, le spectateur, lui, n’a nullement le sentiment que le film condamne la torture. Ce qui semble en revanche franchement assumé comme point de départ, c’est que les terroristes ne méritent pas mieux ! Le parti pris du réalisme s’apparente au final à de la complaisance.
Comme bien souvent lorsque la torture est mise en scène à l’écran, le Centre Primo Levi déplore que les effets sur les personnes torturées ne soient ni décriés ni a minima évoqués. Alors même qu’il s’agit là de pratiques volontairement destructrices de l’individu qui, dans la plupart des cas, ne s’en remettra jamais. Il rappelle à l’occasion de la sortie du film le principe de l’interdiction absolue du recours à la torture quelles que soient les circonstances.
* Tribune publiée dans le quotidien “The Los Angeles Times” du 15 janvier 2013