Le 26 janvier 2024, l’Assemblée nationale adoptait la loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ». Automatisation du refus des conditions matérielles d’accueil, clôture automatique de la demande d’asile, impossibilité d’accès au marché du travail,élargissement des cas de rétention, pôle « France asile », juge unique à la Cour nationale du droit d’asile, les conséquences sur nos patientes et patients seront profondes. Le Centre Primo Levi vous propose un décryptage de cette 30ème loi sur l’immigration.
L’automatisation du refus ou retrait des conditions matérielles d’accueil → l’automatisation de la précarité
L’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) a dorénavant l’obligation et non plus la possibilité de refuser ou retirer les conditions matérielles d’accueil (CMA – à savoir l’allocation pour demandeur d’asile et la possibilité d’être hébergé) lorsque les conditions légales sont remplies1. L’approche au cas par cas est abandonnée, la situation individuelle de la personne, notamment leur vulnérabilité, est niée. Cela signifiera la fatidique multiplication des refus et des retraits, qui était déjà une tendance forte avant l’adoption de la loi.Notons que parmi les cas de refus ou retrait des CMA figure souvent le refus par la personne exilée d’un hébergement dans une autre région que sa région d’arrivée, refus motivé en raison des conditions d’hébergement largement dégradées, très instables, éloignées du lieu de vie originel, inadaptées et aléatoires selon les régions. Ainsi, une patiente du Centre Primo Levi, mère célibataire, hébergée dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) à Paris, qui refuse une offre dans un CADA à Marseille parce que ses deux enfants sont scolarisés dans la capitale et que tout son réseau de connaissances s’y trouve, sera automatiquement privée des CMA. Et se trouvera sans hébergement, ni revenus.Les personnes que nous suivons sont déjà dans une temporalité de survie et une situation de vulnérabilité en permanence. Cette automatisation de la précarité2, et en conséquence l’aggravation de leur vulnérabilité va venir faire obstacle à leur reconstruction. Alors qu’elles n’ont pas pu dire « non » aux violences, elles font de nouveau face à l’absence de choix. Ces « attaques du réel » sont ce qu’il y a de plus difficile dans la clinique du Centre Primo Levi car elles empêchent de se préoccuper de la souffrance psychique originelle. Les conséquences psychologiques sont considérables. L’incertitude, le manque de ressources, parfois l’insécurité, sont autant de risques que le traumatisme soit ravivé.
La clôture automatique de la demande d’asile si la personne exilée quitte son hébergement sans « motif légitime » → la conditionnalité de l’asile
Auparavant si la personne exilée quittait le lieu d’hébergement qui lui était assigné, elle perdait les conditions matérielles d’accueil. Maintenant, elle sera aussi sanctionnée sur le fond de la demande d’asile. La personne sera doublement punie : elle se retrouvera à la fois sans ressources financières et hébergement (et sans possibilité légale de travailler) et sans titre de séjour régulier car sa demande d’asile sera clôturée.
Il s’agit d’une double précarisation, sociale et juridique, et donc d’une double fragilisation qui compliquera fortement le suivi post traumatique des patientes et patients du Centre Primo Levi. Le rejet de la demande d’asile est l’une des violences administratives les plus dévastatrices, car il est vécu comme un désaveu, une non-reconnaissance des violences subies et met à terre tout espoir de reconstruction.
Le droit d’asile est un droit fondamental et ne doit pas être conditionné à l’acceptation ou non des conditions matérielles d’accueil ou retiré sur un motif susceptible d’être interprété (le « motif légitime »).
L’impossibilité d’accès au marché du travail des personnes en demande d’asile → un isolement social et financier encore plus fort
L’accès au marché du travail des demandeuses et demandeurs d’asile (dès le dépôt de la demande) aurait permis un frein à l’isolement social et une autonomie financière. Le refus de cette mesure3 par le parlement va renforcer la dépendance à l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) et surtout l’isolement social, notamment pour les femmes exilées qui sont suivies par notre équipe. Les femmes qui ont vécu des violences sexuelles (qui représentent la quasi-totalité de nos patientes) ou des expériences de domination vivent en effet dans la crainte de l’autre et peuvent avoir tendance à se rendre invisibles, à se cacher ou à s’effacer. Elles vivent avec la peur de sortir de chez elles, de rencontrer des hommes ou des membres des forces de l’ordre, qui pourraient leur rappeler leur bourreau. Cette posture d’évitement est à mettre en lien avec la crainte de revivre l’événement traumatique tel qui s’est produit. Elles ont donc peu l’habitude de sortir et ont peu de lieux où elles pourraient se retrouver entre elles et se sentir protégées.
L’automatisation de l’OQTF en cas de rejet définitif de la demande d’asile → l’automatisation du désaveu
Avant 2024, la personne exilée définitivement déboutée de sa demande d’asile devait quitter le territoire sous peine que lui soit notifiée une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Par exemple, cette procédure ne pouvait intervenir que si la personne était contrôlée par la police. L’automatisation de l‘OQTF (qui existait déjà dans le faits) enlève à l’autorité administrative sa marge d’appréciation et va multiplier les procédures. 25% des personnes que le Centre Primo Levi accompagnent ont été déboutées de leur demande et sont directement concernées.
L’élargissement des cas de rétention des demandeuses et demandeurs d’asile → l’enfermement avant la protection
La loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » prévoit la possibilité d’assignation à résidence et de placement en rétention pour les personnes en demande d’asile qui constituent une menace pour l’ordre public. Cela concerne aussi les personnes en situation irrégulière qui ont sollicité l’asile devant une autre autorité que la préfecture (par exemple auprès des services de police lors d’une interpellation pour contrôle d’identité) et qui présentent un risque de fuite (un risque défini de manière large). Cette mesure pourrait conduire au placement en rétention de personnes venant juste d’arriver sur le territoire français sans voir eu l’occasion de se rendre dans une préfecture, comme c’est le cas pour de nombreuses personnes suivies par notre centre, par exemple lors d’un contrôle de police dans une gare parisienne. Au lieu d’être dirigées vers un guichet unique pour demandeurs d’asile (GUDA), elles peuvent maintenant être mises en rétention. La Cimade estime qu’un tiers des demandes d’asile pourraient être concernées. Dans tous les cas les personnes enfermées devront présenter leur demande directement depuis le centre de rétention, en l’espace de quelques jours, et sans un droit au recours effectif.
Les pôles territoriaux « France asile » → un filtrage précipité de la demande d’asile
La création des pôles territoriaux « France asile » vise à accélérer le processus de la demande d’asile par un premier entretien effectué par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) dans les préfectures (récolte des informations d’état civil, choix de la langue, formulaire). Cette volonté d’accélérer le processus de demande d’asile, si l’intention est bonne, fait exister le ce pré-entretienne serve de base pour un premier filtrage dans l’examen des motifs de demande d’asile, sans que soient réunies des conditions du recueil du récit sécurisantes et confidentielles, avec la présence constante d’interprètes en présentiel dans toutes les langues sur l’ensemble du territoire. Il faut pouvoir donner le temps nécessaire au cheminement psychologique de la personne exilée pour qu’elle accepte de livrer son récit. Raconter l’irracontable ne peut pas se faire de manière précipitée dans un bureau de préfecture avec une ou un interprète en visioconférence.
La généralisation des jugements de la Cour nationale du droit d’asile par un magistrat unique → un véritable recul du droit d’asile
Cette mesure, qui vise aussi à accélérer la demande d’asile, est susceptible de priver les personnes en demande d’asile des garanties fondamentales d’une justice équitable (indépendance et impartialité). La Défenseure des droits estime qu’« un regard collégial est absolument nécessaire pour apprécier les situations des demandeurs dans toutes leur complexité et que le recours au juge unique vide de sa substance le délibéré qui constitue un gage d’impartialité de la justice. Le principe doit demeurer la règle, et le juge unique l’exception »4.
La levée du secret médical par le juge administratif dans les procédures contentieuses → une atteinte grave au secret médical
La loi prévoit que, dans la transmission au préfet des observations des médecins de l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration), celle-ci puisse lever le secret médical, dans le cadre d’un litige lié au refus du titre de séjour « étranger malade ». Il s’agit d’une atteinte grave au secret médical, qui s’impose pourtant aux médecins et protège le droit des personnes à ne pas voir divulguées les informations qui concernent leur état de santé.
- L’OFII peut décider de refuser, voire de retirer ce bénéfice dans certaines circonstances : dans les cas de refus de l’offre ou de l’orientation régionale, de demandes tardives ou de réexamen et dans le cas d’un abandon de la région ou du lieu d’hébergement, d’absence aux convocations des autorités, d’absence de réponse aux demandes d’information de l’OFII, d’informations mensongères sur les revenus, sur la composition familiale ou la demande sous plusieurs identités, de sanctions pour comportement violent ou non-respect du règlement d’un centre d’hébergement. ↩︎
- Cette mesure avait déjà été censurée par le Conseil d’État en 2018 car contraire au droit européen, qui exige un examen au cas par cas. ↩︎
- Déjà limitée dans le projet de loi aux ressortissantes et ressortissants de pays bénéficiant d’un taux de protection internationale élevé. ↩︎
- Avis du Défenseur des droits n°23-07 – Novembre 2023. ↩︎