« Il faut beaucoup d’écoute »

Une journée type n’existe pas pour Aurélia Malhou, juriste au Centre Primo Levi. Les situations des patients qu’elle accompagne chaque jour dans leur recherche de statut ne se ressemblent jamais, alors que les contraintes administratives sont de plus en plus lourdes.

« Une des premières choses que je fais le matin est de me connecter aux sites internet des différentes préfectures et documenter l’absence de rendez-vous disponibles en prenant des captures d’écran », nous dit Aurélia lorsque nous la rencontrons dans son bureau du Centre Primo Levi, pointant ainsi du doigt un problème de plus en plus préoccupant : la dématérialisation de l’accès au service public, source majeure d’entrave à l’accès aux droits pour les plus vulnérables. Elle poursuit : « Nous avons beaucoup moins accès aux préfectures qu’avant où nous pouvions nous présenter physiquement pour demander un rendez-vous ». Des rendez-vous qui ne peuvent donc être demandés qu’en ligne et qui sont surtout devenus extrêmement durs à obtenir. Dès lors, dans beaucoup de préfectures en Ile-de-France, le seul moyen actuellement pour décrocher un rendez-vous est souvent le recours au juge administratif par un référé mesures utiles . « Mais pour obtenir par ce biais le rendez-vous en préfecture, il faut présenter un dossier suffisamment solide et déjà rassembler les preuves de présence en France, ou des éléments concernant les enfants, leur scolarité, en plus des captures d’écran et la preuve d’envoi de courriers ou courriels à la préfecture. Je parle bien ici du dossier à constituer pour que le juge enjoigne le préfet de donner un rendez-vous à la personne. »

En moyenne, 5 personnes par jour, toutes suivies au Centre Primo Levi, poussent la porte du bureau d’Aurélia avec en moyenne une heure d’entretien par patient. Ce matin de janvier, elle reçoit pour la première fois Mme M., qui a été déboutée de sa demande d’asile. Elle est France depuis presque 4 ans, mais se retrouve sans passeport, ni couverture médicale et ses deux enfants n’ont pas d’état civil. « Elle est suivie au Centre par une psychologue, une assistante sociale et un médecin, indique Aurélia. Mes collègues l’ont orientée vers moi pour réfléchir aux démarches administratives éventuelles. Il y aurait une possibilité pour cette dame d’obtenir un titre de séjour en tant que parent d’enfants scolarisés mais il faut 5 ans de présence en France. Ce serait aussi possible pour soins, car elle suit un traitement médical. Malgré des éléments nouveaux, une demande de réexamen de sa demande d’asile est compliquée pour elle tellement la première demande d’asile a été douloureuse, et elle ne souhaite pas revenir une fois de plus sur son vécu traumatique, ce qu’elle m’a clairement dit ». Cette première rencontre est tout de même l’occasion de l’écouter sur son parcours de demandeuse d’asile, de récolter les éléments en sa possession pour constituer un dossier à son nom pour penser à une autre démarche. La personne qui lui succède est Monsieur N., qu’Aurélia accompagne cette fois-ci pour le réexamen de sa demande d’asile. Ce réexamen nécessite de reprendre le récit qu’il va présenter devant l’OFPRA, donc de recueillir, après plusieurs entretiens, les éléments nouveaux qui pourront favoriser l’acceptation de son dossier, et les preuves matérielles de ces faits.

Des preuves d’échanges téléphoniques

Les situations que suit Aurélia sont très diverses, « chaque cas est unique » souligne-t-elle. M. U. a par exemple récemment obtenu le statut de réfugié à l’OFPRA et demande à ce titre la réunification familiale. Cette démarche est très importante pour lui car il sait que ses enfants, restés dans le pays, sont menacés, d’autant plus que leur mère est décédée. La procédure est loin d’être simple : « Il faut scanner et enregistrer les justificatifs, remplir des formulaires, s’acquitter d’une somme d’argent. Si tout est en règle, un rendez-vous est ensuite donné à ses enfants au consulat de France sur place. Puis le Bureau des familles de réfugiés, basé à Nantes, envoie à M. U. un formulaire à remplir. Il doit y joindre des justificatifs notamment des photos de lui avec ses enfants, des échanges téléphoniques, des preuves de transferts d’argent vers le pays pour la prise en charge des enfants. J’aide le patient à constituer le dossier, à rassembler ces éléments et à les envoyer, envoi que j’accompagne d’un courrier du Centre Primo Levi. » Mme R. est la dernière à se présenter en fin d’après-midi accompagnée de sa fille. « Son parcours est complexe, comme celui des personnes suivies au Centre Primo Levi. Après plusieurs titres de séjour pour soins, elle a finalement obtenu une carte de résident de 10 ans. Sa fille est aussi suivie au Centre. A quelques mois de sa majorité, elle doit se préparer à faire une demande de titre de séjour mais elle n’arrive pas à obtenir un rendez-vous en ligne sur le site de sa préfecture. »

« Tous les documents doivent être prêts »

Une fois le rendez-vous en préfecture obtenu, il est essentiel de bien préparer le dossier : « Nous préparons ensemble avec la personne une semaine au moins avant le rendez-vous, explique la juriste du Centre Primo Levi. Tous les documents doivent être prêts. Il peut y avoir deux ou trois temps de préparation, car il faut réactualiser le dossier. Les rendez-vous à la préfecture sont déjà très difficiles à obtenir, il serait très dommage qu’un document manque. ». Dès qu’elle peut, Aurélia se rend avec les patients en préfecture pour le dépôt de leur dossier, un soutien nécessaire : « Car les personnes que nous accompagnons peuvent perdre tous leurs moyens, ils sont souvent très stressés face à l’administration et comme ils sont sans-papier, ils craignent aussi d’y être arrêtés. » Ce qu’elle relève par ailleurs est le caractère très intime des témoignages et des récits que doivent livrer les patients dans le cadre de leur demande d’asile : « Je prends l’exemple d’une dame qui a demandé l’asile sur la base des persécutions dont elle a fait l’objet dans son pays en raison de son homosexualité. Sa demande d’asile a été rejetée par l’OFPRA ce qui a été un choc pour elle. Elle a fini par obtenir le statut de réfugié auprès de la CNDA. Dans ce type de situation, le demandeur d’asile doit faire état d’éléments très intimes de son histoire, ce qui est loin d’être évident : expliquer les rencontres qu’il a faites, le cadre de ces rencontres, le moment où il a pris conscience de son homosexualité… De plus, il y a presque une obligation à participer à des activités organisées par des associations qui défendent le droit des personnes homosexuelles mais aussi à avoir une relation amoureuse en France pour bien montrer qu’on est homosexuel. » Et Aurélia de conclure : « Certaines situations peuvent être très lourdes, notamment quand je travaille le récit de vie avec la personne. Chaque situation a sa problématique, cela peut vraiment varier, mais je prends le temps car c’est aussi un temps d’écoute qui me semble essentiel. »