L’accueil est une discipline de haut niveau.
Il faut de la force pour accueillir, il faut s’aimer soi-même, aimer son pays, il ne faut pas avoir peur, il faut des connaissances, des savoir-faire.
Le geste peut être spontané, humain, généreux, politique ; il est souvent le fait de personnes elles-mêmes très démunies, il n’en est pas moins un geste rare et de très grande ampleur.
Le droit d’asile, la tradition d’accueil, la fraternité sont gravés au plus haut de nos frontons républicains précisément parce que cela ne va pas de soi et que derrière ces mots il y a des gestes hauts et forts.
Il faut beaucoup de force aussi pour s’exiler, une vitalité exceptionnelle, du courage pour partir et survivre sur des routes et des mers de plus en plus dangereuses.
L’accueil, c’est le courage qui parle au courage et cette rencontre ne peut que vivifier et bonifier la société tout entière.
L’exil révèle les forces et les faiblesses de nos sociétés, les ouverts et les repliés, les braves et ceux qui ont peur.
La peur ici ne naît pas du danger, elle naît de l’ignorance et de la manipulation de politiciens sans scrupules, c’est une peur qui fantasme le danger, et qui met en danger des millions de personnes.
Les près de 30 000 morts et disparus en Méditerranée depuis 2014, pour ne parler que d’eux, ne sont pas uniquement victimes de la guerre et de la misère qu’ils ont fuies, ils sont aussi les victimes de l’ignorance et de la peur des populations européennes.
Face à la peur, il faut dire d’abord que le peuple de ceux qui marchent est un sixième continent, un continent à la dérive, habité par tous ceux qui partent et qui vont où ils peuvent, contingent éternel des personnes en exil, qui n’ont pour seul bagage que leur courage et leur envie de vivre.
Pas plus que l’Asie ou l’Europe ce continent ne disparaîtra de la mappemonde.
Penser qu’un politicien, petit homme et gros micro, pourrait faire disparaître un continent entier par l’opération du Saint-Esprit relève d’une absurdité qui, confrontée au réel, ne peut engendrer que de la frustration, de la colère et de la peur.
Il nous appartient à nous tous qui sommes engagés pour un accueil digne des personnes exilées de regarder cette peur en face, de la comprendre et de faire notre possible pour sensibiliser le plus grand nombre à cette idée que l’exil n’est pas une conjoncture ni un accident de l’histoire, l’exil c’est l’histoire elle-même, c’est le mouvement et c’est donc la vie. Il nous revient de témoigner que l’histoire peut être belle si chacun s’élève dans les hautes sphères de la bonne intelligence, de l’ouverture et de l’accueil.
Là où l’air est plus pur.
Antoine Ricard, Président du Centre Primo Levi1.
- Paru dans notre revue Mémoires n°86 ↩︎