L’année 2016
en un coup d’œil

infographie bilan 2016

Contexte : une demande d’asile en hausse, un manque toujours criant d’hébergements

Toutes proportions gardées, l’année 2016 a été l’année de tous les records en matière d’asile. Plus de 85 000 demandes ont été déposées à l’Office français de Protection des Réfugiés et Apatrides, soit 32% de plus qu’en 2014. La France est donc aussi concernée par l’arrivée plus importante de réfugiés en Europe, même si la hausse qu’elle a vécue a été progressive et relative par rapport à des pays comme l’Allemagne.

Concernant les décisions prises, il y a eu un nombre record de protections accordées (plus de 26 000) mais aussi de rejets (près de 48 000). Selon les données arrondies publiées sur le site d’Eurostat le 3 mars 2017, la France a encore une fois l’un des taux d’accord les plus faibles de l’Union européenne (33,3%, contre 61,3% en moyenne). Très contestée par les associations, la procédure dite « de Dublin » – en vertu de laquelle les demandeurs d’asile sont en principe renvoyés dans le premier pays européen qu’ils ont foulé – est à nouveau appliquée massivement, avec plus de 16 000 personnes enregistrées.

Les demandeurs d’asile se trouvent de plus en plus majoritairement en Ile-de-France : un tiers en 2015, plus de 40% en 2016.

Malgré les efforts des autorités publiques nationales ou locales (en particulier de la Ville de Paris), seule la moitié des besoins d’hébergement est couverte à l’heure actuelle. Fait peu connu, un certain nombre de places existantes reste bloqué pour les arrivées prévues dans le cadre du plan de relocalisation de septembre 2015, dont les objectifs sont loin d’avoir été atteints : à ce jour, sur les 30 000 personnes que la France s’était engagée à accueillir d’ici septembre 2017, seulement 2 696 ont été accueillies depuis la Grèce et l’Italie, et 3 005 Syriens depuis le Liban, la Jordanie et la Turquie.(1)

Si les délais d’instruction des demandes ont diminué, ce sont les délais d’enregistrement en préfecture qui ont explosé. Or tant que l’enregistrement n’a pas été fait, la personne n’a ni hébergement, ni aide financière – et même une fois cette démarche effectuée, ni l’un ni l’autre n’est garanti de facto, du moins dans l’immédiat.

Ces conditions de vie aggravent les traumatismes dont souffrent les personnes accueillies au Centre Primo Levi et renforcent le besoin d’un accompagnement particulièrement soutenu.

L’année 2016 au Centre Primo Levi

L’activité du centre de soins

Grâce au soutien de la Mairie de Paris, de la Fondation de France et de généreux donateurs privés, deux postes gelés depuis 2012 (un de médecin et un de kinésithérapeute) ont pu être rouverts, et un poste de psychologue a pu être créé. Enfin, le temps de l’un des postes d’assistant social a été augmenté à 80%. Ces renforcements ont permis d’accroître de 25% l’activité globale du centre de soins : 383 personnes ont été reçues dont 329 ont été prises en charge (les 54 restantes ont été reçues seulement en entretien d’accueil, et orientées vers d’autres structures) ; 103 nouveaux patients ont été admis au cours de l’année ; plus de 6 100 consultations ont été délivrées, dont plus d’un tiers avec interprète.

Le nombre moyen de consultations par an et par patient est ainsi passé de 15 à 18,6 par rapport à 2015. Cette augmentation peut être expliquée par différents éléments :

• la reprise de l’offre de kinésithérapie permet d’apporter un soutien supplémentaire à des patients déjà pris en charge sur le plan médical et/ou psychologique ;

• la situation de très grande précarité dans laquelle se trouvent certains patients exige de leur apporter un suivi plus soutenu, avec des consultations plus rapprochées ;

• le recrutement d’un nouveau médecin permet aux deux médecins déjà en poste de réorganiser leur pratique – alors qu’ils avaient eu tendance à espacer les consultations pour pouvoir accueillir davantage de patients, ils peuvent désormais, lorsque c’est nécessaire, proposer un suivi plus soutenu à leurs patients.

La durée moyenne des prises en charge au Centre Primo Levi est de presque 3 ans, ce qui explique que seul un tiers de nos patients soit renouvelé chaque année. L’équipe soignante ne prétend pas guérir ses patients des expériences hautement traumatiques qu’ils ont vécues : elle peut seulement les aider à vivre avec, à les intégrer dans leur ligne de temps pour pouvoir se projeter à nouveau dans un avenir. Ce travail se fait nécessairement dans la durée, grâce à un accompagnement resserré et adapté aux besoins de chacun.

En outre, nous avons constaté cette année le retour d’une dizaine d’anciens patients, qui n’étaient plus suivis au centre depuis au moins un an mais ont demandé à reprendre un suivi, psychologique dans la plupart des cas. C’est un phénomène nouveau dans cette ampleur. Certains de ces retours sont à imputer aux attentats de Paris qui ont fait ressurgir des traumatismes anciens et qui ont réveillé le sentiment d’insécurité et d’angoisse que ces patients avaient réussi à surmonter.

Les patients ont été suivis en moyenne par 3 intervenants différents au sein du centre. La plupart ont été suivis par un psychologue (76% d’entre eux) et/ou par un médecin (67%). Encore une fois, les services social et juridique se sont révélés précieux puisque 62% des patients y ont fait appel. La kinésithérapie ayant rouvert en cours d’année, elle n’a pour l’instant bénéficié qu’à une vingtaine de patients.

Le profil des nouveaux patients (au moment de leur admission)

L’ampleur de la crise au Moyen-Orient occupe tous les esprits et occulte parfois la réalité des autres conflits qui parsèment le monde. Un chiffre record atteste de cet état : les patients admis en 2016 viennent de 30 pays différents. Alors que le nombre de personnes originaires d’Afrique subsaharienne, qui est la principale zone d’origine des patients depuis la création du centre, avait commencé à diminuer ces dernières années plutôt au profit des pays du Moyen-Orient et du Caucase, elles sont revenues en grand nombre au cours de l’année 2016 : 53% des nouveaux patients viennent de cette région, en particulier de la République démocratique du Congo. Viennent ensuite la Tchétchénie, l’Ukraine qui fait son apparition parmi les premiers pays du centre, et l’Afghanistan.

Les conflits multiples qui agitent régulièrement la RDC depuis plus d’un siècle et qui ont été ravivés dans le contexte du maintien au pouvoir de Joseph Kabila au-delà de sa période de mandat expliquent ce retour et laissent présager encore de nombreuses arrivées de demandeurs d’asile congolais en 2017 (voir le dossier consacré à ce pays publié ce mois-ci).

Autre fait marquant : plus d’un tiers des nouveaux patients étaient des mineurs, pour la plupart venus avec leur famille. Eux aussi viennent majoritairement d’Afrique sub-saharienne – de la République démocratique du Congo, du Congo Brazzaville ou encore du Soudan. En ce qui concerne la proportion hommes / femmes, elle reste à peu près équilibrée (52% / 48%).

Le Centre continue à constater avec consternation une part importante de personnes ayant déjà été déboutées du droit d’asile au moment de leur admission (12% en 2016), alors même qu’elles sont particulièrement menacées dans leur pays (voir à ce sujet le rapport « Persécutés au pays, déboutés en France » publié par le Centre en novembre 2016). Dans ce cas, la juriste les aide à formuler une demande de réexamen ou, s’ils n’en remplissent pas les conditions, de titre de séjour temporaire. La majorité des patients arrive alors qu’ils sont en attente de réponse de l’Ofpra ou de la CNDA. Certains (13%) ont déjà obtenu le statut de réfugié. Les autres disposent d’un titre de séjour pour soins ou relèvent de la protection subsidiaire ou de la procédure dite « de Dublin ».

La part de patients hébergés en Centre d’accueil pour demandeurs d’asile continue à progresser : ils étaient 25%, contre 13% en 2013. Les hébergements en foyer ou chez des compatriotes étaient également plus nombreux. A l’inverse, la part de personnes en location privée a chuté à 5% et celle de personnes sans domicile fixe ou hébergées au 115 est passée de 19 à 13%.

L’activité du centre de formation

Dans le contexte de l’augmentation des arrivées de demandeurs d’asile en France et du renforcement du dispositif national d’accueil, les professionnels et bénévoles impliqués dans le soin et l’accompagnement de ces hommes, femmes et enfants exilés sont en demande croissante de formation. Souvent isolés, dépassés par l’ampleur des traumatismes redoublés par les parcours d’exil chaotiques et les conditions de vie en France, ces professionnels n’ont souvent pas les outils nécessaires pour apporter une aide efficace et pour se protéger eux-mêmes des effets de la violence.
Etant l’une des premières, en 1995, à s’être penchée sur les effets du psychotraumatisme et à avoir développé une pratique spécifique autour de l’accompagnement et du soin des réfugiés qui en souffrent, l’équipe du Centre Primo Levi a été particulièrement sollicitée en 2016 pour partager son expérience et donner des clefs de compréhension aux travailleurs sociaux, aux soignants ou encore aux interprètes.

Une dizaine de formations ont notamment été demandées par la Ville de Paris pour des équipes de médecins scolaires ou en PMI (Protection maternelle et infantile) ainsi que de travailleurs sociaux.

Près de 400 professionnels ont ainsi été formés sur les effets des violences politiques et de l’exil, les questions d’identité, le récit et la reviviscence des traumatismes ou encore sur l’accompagnement des femmes victimes de violences ou des mineurs non accompagnés.

Les actions de sensibilisation et de mobilisation

Le centre poursuit sa mission de sensibilisation du grand public autour des questions liées à l’accueil et à la prise en charge des personnes ayant été victimes de la torture et de la violence politique.

Il a pu sensibiliser plus de 3 000 personnes en France à travers des rencontres, des colloques et des interventions de toutes formes.

Par ailleurs, il a fait paraître, le 16 novembre 2016, le rapport « Persécutés au pays, déboutés en France – Les failles de notre procédure d’asile » pour mettre au jour la situation d’impasse, tant psychique que juridique, de ces personnes en nombre croissant qui n’obtiennent pas l’asile alors que leur vie est menacée dans leur pays. Ce rapport a été largement repris par les médias et a suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux.

Les autres activités

L’atelier de pratique théâtrale lancé en septembre 2015 pour nos patients adultes a été renouvelé. Le groupe est désormais constitué d’une dizaine de patients de différentes nationalités, aux niveaux de français très variables.

Sur cette même lancée, un deuxième atelier (expression / dessin) a été mis en place en 2016, cette fois-ci pour les enfants (voir article annonçant le lancement). Ces expériences, globalement très positives, nous incitent à réfléchir à la mise en place d’autres activités de ce type.

Perspectives

Suite au renforcement récent de l’équipe, l’activité du centre de soins devrait continuer à s’accroître en 2017. Plus de patients pourront être accueillis, ce qui laisse espérer une diminution des délais d’admission (qui varient actuellement entre 4 et 6 mois pour une prise en charge psychologique et entre 15 jours et 1 mois pour une prise en charge médicale).

L’augmentation du nombre de réfugiés en France, les sollicitations reçues par le Centre Primo Levi de la part d’acteurs institutionnels et/ou associatifs (nouveaux ou existants) pour les former, travailler en partenariat, mettre en place des actions communes, nous interroge bien entendu sur le développement de notre activité et l’évolution de nos actions.

L’équipe réfléchit donc actuellement aux perspectives de développement de ses différentes missions, qu’il s’agisse de soin, de formation ou de sensibilisation.

(1) « Immigration : les titres de séjour et demandes d’asile ont augmenté en 2016 », lemonde.fr, 16 janvier 2017