Des garanties revues à la baisse
A travers une recommandation du 7 mars 2017, la Commission européenne invite les États membres à « rendre plus effectif » le renvoi des ressortissants de pays tiers (c’est-à-dire non membres de l’Union européenne) en séjour irrégulier – renvoi qui avait été prévu en 2008 par une directive du Parlement européen et du Conseil.
Les Etats membres sont invités à « renforcer leur action en matière de politique de retour et à optimiser au maximum les outils répressifs que le droit de l’Union leur offre, tout en revoyant à la baisse la portée des garanties accordées aux ressortissants des pays tiers en situation irrégulière », commente l’avocat Christophe Pouly dans un article publié le 28 mars sur le site des Editions législatives.
Si ces recommandations, selon la Commission, ne constituent que « des orientations sur la manière dont les dispositions de la directive devraient être appliquées », Me Pouly se demande si elles ne préfigurent pas « un futur règlement beaucoup plus contraignant que le cadre prévu par l’actuelle directive “retour” ».
La rétention, « élément essentiel pour améliorer l’efficacité » du système
Au titre de la « réponse répressive personnalisée », la Commission souhaite notamment que les États membres envisagent « la possibilité de recourir à des sanctions […] effectives [et] dissuasives », à condition qu’elles ne compromettent pas la réalisation de l’objectif de la directive, c’est à dire éloigner. Par ailleurs, considérant que les durées de rétention sont en moyenne trop courtes dans la plupart des États membres, la Commission recommande l’uniformisation d’une durée initiale de six mois et pouvant être prolongée jusqu’à dix-huit mois.
La Commission rappelle qu’aucune décision de retour ne peut être édictée sans que l’intéressé puisse formuler des observations préalablement au cours d’un entretien. « Mais, ajoute Me Pouly, la simplification demandée aux États tend surtout à limiter la portée des garanties procédurales et des voies de recours ».
« Eviter toute utilisation abusive des droits et des procédures »
Me Pouly pointe également du doigt les mesures mises en avant pour réduire les possibilités de recours des personnes en situation irrégulière, au détriment de leurs droits.
La Commission propose en effet de raccourcir autant que possible les délais de recours « afin d’éviter toute utilisation abusive des droits et des procédures » et notamment les « fausses allégations médicales visant à empêcher l’éloignement ». Pour les personnes qui ont formulé un recours, elle préconise par ailleurs de ne garantir leur non-renvoi (le temps du recours) qu’à celles qui risqueraient d’être exposées à des traitements inhumains et dégradants.
Quand même les mineurs sont visés
Concernant les mineurs, les recommandations de la Commission sont tout aussi choquantes : considérant que, dans certains cas, l’intérêt supérieur de l’enfant commande qu’il soit renvoyé dans son pays d’origine, elle donne le feu vert pour privilégier cette voie. « A cet égard, explique Me Pouly, Bruxelles adresse une critique à peine voilée aux législations nationales prohibant l’éloignement des mineurs non accompagnés qui ne permettent pas “de donner plein effet à l’obligation imposée aux États membres de tenir dûment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant”. »
Enfin, la Commission estime que les États membres « ne devraient pas exclure de leur législation nationale la possibilité de placer des mineurs en rétention », à condition de prévoir des mesures moins coercitives.
Quelle menace pour les déboutés du droit d’asile ?
En novembre 2016, le Centre Primo Levi a fait paraître un rapport sur les déboutés du droit d’asile, mettant en avant le fait que parmi eux se trouvent de nombreuses personnes qui ont été victimes de persécutions et qui sont toujours menacées dans leur pays. Il en a tiré un certain nombre de recommandations visant à réduire les failles de la procédure d’asile et à éviter les trop nombreuses erreurs de jugement.
La même semaine, l’ONG « Freedom from torture » a publié le rapport « Proving torture » faisant le même constat sur l’inadaptation de la procédure britannique.
Le témoignage de Joude Jassouma, auteur du livre Je viens d’Alep, est une illustration parmi tant d’autres de notre politique de rejet. Après avoir fui la Syrie avec sa femme et leur bébé et au terme d’un parcours chaotique qui les a menés jusqu’en France, il n’a pas obtenu le statut de réfugié au prétexte que « les éléments qu’[il] présente ne permettent pas de “conclure au bien-fondé” de [s]es craintes ».
Dès lors qu’il a été prouvé que le système d’octroi de l’asile n’est pas fiable et ne protège pas toutes les personnes qui en ont besoin, comment envisager de ranger systématiquement et indistinctement les déboutés du droit d’asile dans la catégorie de ceux qu’on appelle les « sans-papiers », et à ce titre les menacer d’expulsion ?
Le Centre Primo Levi forme le vœu qu’une réelle prise de conscience s’opère au sein de nos instances dirigeantes nationales et européennes, et que la politique de rejet qui durcit d’année en année soit remise en question afin que personne, parmi ceux qui viennent chercher protection, ne soit renvoyé vers la mort.