Recréer des liens

Alors que la société d’accueil se fait plus hostile et que le quotidien des hommes, femmes et enfants qui poussent la porte de notre centre est de plus en plus dur, le Centre Primo Levi représente un havre de sécurité, un lieu stable où ils trouvent une écoute attentive et le soutien indispensable pour recréer les liens brisés par la violence et l’exil.

De multiples ruptures

Une des caractéristiques de nos patients réside dans les multiples ruptures de liens, liées à la violence et à l’exil, qu’il est nécessaire prendre en compte pour soigner.

Comme l’explique Agnès Afnaïm, médecin au Centre Primo Levi, lorsqu’une personne vit des violences extrêmes de la part d’un semblable, en sans échappatoire possible, il en découle une impossibilité de faire confiance à l’autre humain et la destruction d’une parole subjective. Cela se traduit souvent par un repli sur soi qui plonge la personne dans un isolement et un profond sentiment de solitude. C’est aussi le lien entre la personne et son propre corps qui est attaqué, du fait de la dissociation traumatique qui se produit pendant les violences pour protéger l’organisme d’un risque de mort intrinsèque. A cela s’ajoutent les nombreuses pertes subies du fait de l’exil – de son pays, ses proches, sa langue, sa culture, son métier. Une rupture de lien social qui est amplifiée dans le pays d’accueil du fait des difficultés à obtenir le statut de réfugié et de la précarité.

Ces ruptures de liens, qui s’ajoutent les unes aux autres, participent à un exil intérieur. 

Agnès Afnaïm, médecin généraliste au Centre Primo Levi.

« C’est dire combien le lien et la relation sont primordiaux dans la prise en charge d’une personne victime de torture ! » souligne-t-elle. La pluridisciplinarité est ainsi une ressource centrale dans l’accompagnement de ces personnes. L’accueil des patients lors de l’entretien initial avec l’accueillante fonde le lien à l’institution. Cette relation personnelle demeure en fond et support de tout le suivi ultérieur dans ses différentes dimensions. Ce lien humain attentif est un repère dans la vie des patients compte tenu des rejets divers et exclusions qui jalonnent leur parcours d’exil et la tentative d’obtenir un droit au séjour.

L’inscription dans la durée des soins et de l’accompagnement est tout aussi primordiale et d’autant plus importante qu’elle contraste avec la politique actuelle qui produit de l’éparpillement dans le quotidien et de la déliaison qui fragilise encore davantage le lien social.

Le Centre Primo Levi offre ainsi une réelle possibilité d’investir l’institution et de se soigner, dans un temps propre à chacun.

La parole collective pour rompre l’isolement

Depuis janvier, en complément de la prise en charge individuelle, le Centre Primo Levi a mis en place un groupe de parole thérapeutique afin de proposer à ses patientes et patients, un autre espace – collectif – pour rétablir le lien social et trouver appui sur ses pairs.

L’idée de ce groupe est née du constat de l’isolement important dans lequel évoluent les patients suivis au Centre Primo Levi, y compris pour celles et ceux ayant dans le pays d’accueil des relations avec leur communauté d’origine. La méfiance, la peur rendent la relation à l’autre instable voire impossible. Ce groupe repose aussi sur l’hypothèse – sur un plan plus strictement thérapeutique – qu’il peut être un préalable nécessaire pour « dégeler la parole » et ouvrir l’accès à la psychothérapie pour certains patients qui ont des difficultés d’accès au cadre de la psychothérapie individuelle « classique ».

Coanimé par deux psychologues cliniciennes, ce groupe est mixte et rassemble une dizaine de patients francophones, de tout âge. Une trentaine de sessions d’une heure est prévue sur l’année 2024. Les premiers retours sur les effets de cette action pilote sont prometteurs.

Retrouver ses proches

Nombreuses sont les personnes exilées qui ont dû laisser un ou plusieurs membres de leur famille derrière elles au moment de fuir leur pays. Cette séparation familiale a des effets destructeurs et constitue un frein à l’intégration des personnes. Comment investir par exemple le parcours scolaire de son enfant quand on craint pour le deuxième, resté au pays ?

Retrouver ses proches après toutes les épreuves vécues est aussi primordial pour se reconstruire.

En France, la réunification familiale est ouverte aux personnes titulaires du statut de réfugié ou apatrides, ainsi qu’aux bénéficiaires de la protection subsidiaire. Cette procédure n’est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement.

Elle est néanmoins très restrictive puisqu’elle ne concerne pas les enfants de plus de 19 ans, les fiancé(e)s et conjoints récents, les frères, les sœurs, ou encore les parents. Bien que la réunification familiale soit inscrite dans la loi depuis 2015 et qu’elle ait été simplifiée et élargie par différentes mesures depuis, elle reste longue et difficile d’accès. Rares sont les associations à proposer leur aide dans ce champ, laissant les personnes seules face à des situations qui génèrent de l’angoisse et prolongent la culpabilité.

Au Centre Primo Levi, ce travail est porté par le service juridique, mais implique aussi le soutien des assistants sociaux et des psychologues. Dix-sept personnes sont actuellement accompagnées dans leurs démarches de réunification familiale et cet été, après de nombreuses années d’attente et de combat, une des patientes du centre a enfin retrouvé sa famille : une victoire et une immense joie pour elle et pour toute l’équipe du Centre Primo Levi !