Article paru dans le rapport annuel 2021.
Parham Shahrjerdi intervient en tant qu’interprète persan et pachtoune au Centre Primo Levi depuis plusieurs années, une position extrêmement importante dans l’accompagnement des patients. Pour lui, son rôle consiste à se mettre dans la peau de l’autre, sans jamais imposer sa propre vision.
Les situations des personnes suivies au Centre Primo Levi sont très dures, comment collez-vous à leur réalité ?
Parham Shahrjerdi : J’essaye de m’effacer, d’être au service de celui qui a des choses à dire. Je suis là pour faciliter, pour transmettre, sans intervenir, sans imposer ma propre langue, mon propre vocabulaire. Chacun s’exprime à sa façon, il ne faut pas altérer la parole ou en faire un résumé. J’essaye de rester le plus fidèle possible, de garder aussi le ton avec lequel la personne s’exprime. D’ailleurs, je ne dis jamais : « il dit » mais « je ». Je me mets dans la peau de l’autre, comme si sa souffrance, joie ou colère était la mienne. Vous êtes là pour jouer le rôle de l’autre, peu importe ta position, peu importe ce que tu penses. Cela demande beaucoup de retenue.
Vous ne prenez pas de notes pendant les consultations. Pourquoi ?
PS : C’est un rythme que nous trouvons avec le psychologue, le médecin ou l’assistante sociale. On ne laisse jamais quelqu’un parler pendant 10 minutes, par exemple. Je me permets d’intervenir, car la personne a tellement de choses à dire. Et je ne peux pas mémoriser 10 minutes de parole. Au début, je me retrouvais au milieu de paroles très dures à entendre, nous nous exposons beaucoup en tant qu’interprètes. Avec le temps, j’essaye de garder une distance nécessaire, tout en restant présent.
Comment faites-vous pour avoir ce recul ?
PS : À chaque fois qu’une situation très dure se présente, nous prenons du temps, avec le praticien, après la séance, pour évoquer ce qui vient d’être dit, pour ne pas me laisser seul avec le récit. Nous échangeons, parfois, pour que je donne aussi plus de précisions : il y a parfois des métaphores, des proverbes qu’il faut expliquer, qui ne sont pas clairs. Cela nécessite de décortiquer ce qui a été dit. Dans d’autre endroits où j’interviens comme interprète, je me retrouve seul, je peux sortir de certains entretiens complètement abasourdi.
Comment envisagez-vous le silence ?
PS : C’est assez délicat. J’essaye de l’accompagner, de ne pas le briser, car certaines personnes ont besoin de se retirer, de se recueillir, de réfléchir. D’autres ont peur du silence, ils parlent sans cesse. Là aussi, il est difficile de trouver un rythme, car, à un moment donné, il faut intervenir. J’essaye de ne pas le faire et je laisse parler.
Comment as-tu évolué en tant qu’interprète ?
PS : J’ai plus de maturité, j’ai un peu plus de facilité pour interpréter de façon simultanée. Humainement, je me sens plus proche de ces personnes, j’ai de plus en plus d’empathie pour elles. De moins en moins je pense à ma propre fatigue, je donne de plus en plus d’importance à la parole de l’autre, à sa façon de dire les choses. J’essaye de garder les nuances. En même temps, je fais toujours attention à ne pas piétiner la parole, à ne pas la remettre en question, à ne pas attaquer cette parole, même avec des gestes inconscients. Je pense que les patients sont assez sensibles à cette démarche, à travers les échanges, le ton sur lequel je parle avec eux. Cela les soulage, ils comprennent que je les comprends, et cela leur fait du bien, les praticiens aussi réalisent cela.
Y-a-t-il des éléments plus difficiles à traduire que d’autres ?
PS : Tout est difficile à traduire. Déjà, la personne s’exprime dans sa langue ; ensuite, chacun a sa propre manière de parler et s’exprime avec ses mots. Parfois, il est important d’être « ami » avec le monde de l’autre et de ne pas imposer son vocabulaire. Cela demande de la patience et de la modestie, je suis là pour apprendre, aussi. C’est une question de confiance, qui met du temps à se construire.