Le suivi social en 2023, l’insécurité alimentaire


Les problèmes d’insécurité alimentaire ont particulièrement progressé depuis trois ans : en 2023, 29% des patients suivi par le service social étaient concernés. Le cas d’une patiente illustre cette nouvelle situation inquiétante. « En novembre 2023, se rappelle notre responsable de l’accueil, l’école maternelle du cadet d’une fratrie nous appelle et nous dit qu’il ne vient plus depuis dix jours, ils savent que l’ainé ne va plus au collège. Ils n’arrivent pas à joindre leur mère : est-ce que vous avez des nouvelles ? ». Une mère et ses deux enfants de 4 ans et 11 ans, suivis au Centre Primo Levi, ont en effet pris la route de l’Italie, où ils ont été pris en charge par la Croix-Rouge locale. Cette situation est une première pour notre équipe. La cause de ce départ précipité : la précarité et la faim. Pour cette patiente, la situation était devenue intenable. D’origine ivoirienne, elle a été déboutée de sa demande d’asile et a donc dû quitter le Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) qui l’hébergeait, comme l’impose la loi. Elle emménage alors avec ses enfants dans une chambre d’hôtel mise à disposition par le 115 dans les Yvelines, tout en étant officiellement domiciliée dans un autre département et ses enfants scolarisés dans un troisième département. Un éparpillement administratif habituel pour un grand nombre de nos patientes et patients. Sans ressources après le rejet de sa demande d’asile, elle survit en faisant des ménages, mais faute de titre de séjour régulier, elle est contrainte d’arrêter. Les conditions de son hébergement sont désastreuses, la chambre dans laquelle ils dorment à trois est envahie de cafards. La famille, dont le père est retenu au Maroc, survit grâce aux banques alimentaires et aux chèques service que le Centre Primo Levi lui fournit. Rapidement, la mère ne peut plus payer la demi-pension pour ses enfants, même le tarif le plus bas que nos assistantes sociales tentent d’obtenir pour elle est hors de portée financièrement. Un jour, son fils ainé, pendant une consultation, avoue au psychologue qui le suit ne pas manger à midi. Il a choisi de de se priver de repas pour ne pas alourdir la charge financière de la famille. Il avoue aussi ne manger que du riz lorsqu’il rentre chez lui. Il faut savoir que, dans les hôtels où logent les familles de personnes déboutées du droit d’asile, il est interdit de cuisiner. Des colis repas leur sont livrés mais ils ne correspondent pas à leurs habitudes alimentaires. Alors ces familles utilisent parfois un stratagème invraisemblable : elles reviennent dans leur ancien centre d’accueil, y cuisinent et ramènent les repas préparés dans leur hôtel, pour la semaine. La situation de cette famille n’est malheureusement pas un cas isolé, comme cette petite fille qui se présente en consultation le ventre vide ou ce patient qui dit boire du thé le soir pour couper sa faim.

Jamais la précarité de nos patientes et patients n’avait été aussi grande

Aujourd’hui, les séances de nos psychologues débutent de plus en plus par la question : « Est-ce que vous avez mangé aujourd’hui » ? De l’avis de notre équipe, jamais la précarité de nos patientes et patients n’avait été aussi grande, avec des conséquences lourdes sur l’accompagnement et un sentiment de gâchis. Dans le cas de la famille citée plus haut, le fils ainé était suivi depuis 4 ans, la mère venait juste de l’être. La question alimentaire a toujours été présente dans notre centre, régulièrement des patientes et des patients déclarent avoir faim. Mais auparavant, ces situations d’urgence, en attendant un accompagnement ou l’ouverture de droits, pouvaient être atténuées par l’accès aux banques alimentaires ou aux épiceries solidaires. Or, ces espaces ont de moins en moins de moyens. La crise sanitaire et l’inflation ont fait exploser le recours aux banques alimentaires, elles mêmes confrontées à la hausse du coût des denrées et à la baisse des dons. En trois ans, depuis 2020, le nombre de bénéficiaires a augmenté de 35%. Les personnes réfugiées que nous accompagnons, dont la souffrance a été officiellement reconnue, connaissent aussi des situations de détresse aigues. Très souvent les coupures de droits en sont responsables, suite à un déménagement dans un autre département par exemple. Dans d’autres cas, l’ouverture des droits est trop lente, comme la délivrance des documents d’état-civil par l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), qui prend en moyenne 14 mois au lieu de 3 mois. Ces périodes de vide administratif peuvent durer de longs mois, et faire (re)plonger dans la précarité. Cette situation n’est pas nouvelle, mais le filet de sécurité que pouvaient apporter les banques alimentaires s’est amenuisé. La faim force la porte de nos salles de consultation et ébranle notre accompagnement des personnes exilées victimes de torture et de violence politique.