Ekaterina est géorgienne, ingénieure, comme son mari. En 2007, ils montent une entreprise de fabrication de tissu et en gèrent l’activité. L’entreprise fonctionne bien mais en 2008 débute en Ossétie du Sud le conflit entre l’armée géorgienne et les séparatistes liés à la Russie. S’ensuit une période de crise économique grave dans la région. L’entreprise d’Ekaterina est contrainte à la fermeture. A ce moment des hommes armés kidnappent le mari d’Ekaterina et demandent une rançon pour sa libération. Si l’entreprise a fermé, ils savent que les machines qui servaient à fabriquer le tissu représentent de la valeur. Ekaterina subit à son tour des pressions, elle est torturée. Elle se met en quête de l’argent mais au moment de le remettre aux ravisseurs, c’est trop tard. Elle apprend que son mari est mort en captivité. Elle se retrouve seule, sans ressources, les menaces continuent. Elle est forcée de quitter le pays.
Un fort attachement à la langue et à la culture
En 2015, elle arrive à Paris où la communauté russophone la soutient. C’est par son intermédiaire qu’elle va pousser la porte du Centre Primo Levi, en 2018, trois années après son arrivée en France. L’épisode de l’enlèvement de son mari et de sa mort sont encore très présents dans son esprit, elle a des difficultés à dormir et continue de faire des cauchemars. Au Centre Primo Levi, elle va débuter un suivi médical et psychologique et être accompagnée dans la préparation de sa demande d’asile politique, malgré de gros problèmes de santé. Mais elle commence à aller mieux. De son passé et son éducation en Géorgie, elle conserve un fort attachement à la langue et à la culture. Elle a en permanence avec elle un carnet et un dictionnaire. Pendant les séances avec son psychologue, elle peut par exemple déclamer de longs poèmes en russe ou en géorgien et par ce biais évoquer autre chose que son traumatisme. Ce goût des mots la pousse à commencer l’apprentissage du français, à 62 ans. L’assistante sociale et le psychologue du Centre Primo Levi qui la suivent commencent les démarches dans ce sens. Après une tentative infructueuse dans une école de langues, elle intègre le cours de français mis en place par la Maison de la Poésie à Paris et soutenu par le Centre Primo Levi. Elle se sent tout de suite très à l’aise dans le groupe et les progrès ne tardent pas à arriver. Elle apprend aussi au même moment que sa demande d’asile a été acceptée par l’Ofpra.
Un moment d’effondrement
Ce qui peut paraitre comme une bonne nouvelle est en fait un moment d’effondrement. Cela veut dire qu’elle ne pourra plus revenir dans son pays, la replongeant du même coup dans les souvenirs de l’enlèvement et la mort de son mari. Ce tiraillement entre la satisfaction d’obtenir un refuge officiel en France et les réminiscences des épisodes tragiques de sa vie en Géorgie, elle va l’exprimer et y mettre des mots au cours des ateliers d’expression de la Maison de la poésie. Une maison qui porte bien son nom, elle devient un véritable lieu de ressources, de lien social et d’apprentissage pour Ekaterina. C’est une passerelle et une continuation de son suivi par le psychologue du Centre Primo Levi. Les ateliers auxquels elle participe sont des parenthèses de deux ou trois heures où elle ne pense plus au passé. Là elle participe, elle crée, elle s’implique. Elle seule ne pouvait pas faire cela. Elle commence à voir un « ailleurs », en dehors du soin. Comme le dit son psychologue, « nous ouvrons une porte ».