Le hasard fait bien les choses

Jonas Bessan a été médecin pendant 11 ans au Centre Primo Levi, alors qu’il ne devait rester qu’une année. Devenu médecin « par hasard », venu en France presque par hasard, également, il s‘est investi auprès de nos patients avec une détermination et une générosité continues.

« Le hasard a fait que je suis devenu médecin. Je suis le fils aîné d’un pêcheur au Bénin, à 90 km de la capitale. J’étais destiné à prendre la place de mon père, mais mon oncle l’a forcé à m’inscrire à l’école », avoue Jonas. Il se révèle être, sur les bancs de l’école, un élève brillant et obtient une bourse pour intégrer le plus grand lycée du pays, dans la ville de Porto Novo, avant de passer son bac en 1968, année symbolique. Il hésite alors entre économie et médecine dentaire. La seule université à proposer cette matière en Afrique de l’Ouest est celle de Dakar, mais, à cette époque, comme en France ou en Europe, l’agitation étudiante bat son plein. Le Sénégal connaît une crise qui aboutit à une grève générale des travailleurs et des étudiants. Jonas reste au Bénin et décide, l’année d’après, d’aller en Côte d’Ivoire où, par défaut, il s’inscrit à la faculté de médecine, mais là encore, l’agitation politique n’est pas loin : « Nous étions tous indépendantistes et nous soutenions les partis indépendantistes et particulièrement Sekou Touré, le premier président de la Guinée. Le pouvoir ivoirien ne voyait pas cela d’un bon œil et nous a tous renvoyés chez nous, dans nos pays respectifs, nous étions 120 étudiants béninois », se rappelle Jonas. Le retour au Bénin se fait dans un pays bousculé par une crise politique majeure et, là non plus, le pouvoir en place n’est pas forcément favorable à l’arrivée de 120 étudiants indépendantistes.

48 heures pour quitter le Bénin

« Leur seule solution, dit Jonas, a été de nous faire partir, car nous étions potentiellement source de désordre et, un soir à la radio, le gouvernement a annoncé que nous avions 48 heures pour faire nos bagages et partir vers la France. À l’époque, nous étions considérés comme français, donc la carte d’identité suffisait, c’est comme cela que je suis arrivé à Paris. » Le hasard, encore une fois. Ce même hasard qui l’envoie dans la faculté de Montpellier avec les autres étudiants béninois en médecine. « Le premier contact avec Montpellier, avec la France, a été très agréable, cela correspondait à l’image que nous nous faisions du pays, je n’ai pas subi de racisme. Cette période a été très plaisante, d’autres Béninois étaient déjà sur place et nous ont servi de guide, et, en prime, nous avions un mois de bourse en poche. » Ses études terminées, alors qu’il se prépare à rentrer au Bénin avec sa famille, une erreur administrative l’empêche de partir et le pousse à demander la nationalité française pour commencer à exercer en tant que médecin. Il entend, par hasard, parler de la création d’un groupe médical à Bonneuil-sur-Marne en région parisienne, qu’il rejoint. « J’ai donc commencé là-bas, nous sommes partis de rien avec d’autres collègues. Au bout de trois ans, l’activité a commencé à fonctionner, j’y suis resté jusqu’en 2011. Je traitais des personnes avec très peu de moyens, dont un certain nombre bénéficiait de l’Aide médicale d’État. Ces personnes avaient un vrai besoin de soins et elles me le rendaient bien, dans leur attitude, dans la relation que j’avais avec elles, je suis resté aussi longtemps pour cette raison. »

Et le Centre Primo Levi ? « Je connaissais le Centre de nom et je tombe par hasard sur une annonce pour un poste de médecin. Je devais partir à la retraite, mais je ne voulais pas m’arrêter, je voulais être bénévole, pas forcément salarié. J’ai été pris, je ne devais rester qu’une année et, 10 ans plus tard, j’étais toujours là. » Le fait de travailler en lien étroit avec ses collègues psychologues, assistants sociaux ou juriste bouscule ses habitudes de médecin généraliste. « Au début, je ne savais pas comment travailler avec eux, il a fallu apprendre et bien se coordonner ». Onze ans au Centre Primo Levi, une période pendant laquelle Jonas a été le témoin de la forte dégradation de la situation des personnes exilées en France. « Elles sont dans l’impasse de la société, les questions sociales et juridiques sont devenues extrêmement importantes et peuvent être un grand frein au soin psychologique ou médical. »


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