Tenir une année de plus

Assistante sociale au Centre Primo Levi, Pauline Langlade est un témoin direct de l’importance grandissante de la précarité sociale chez nos patients, notamment les patients les plus âgés, pour lesquels commence à se poser la question de la retraite.

La question du vieillissement des personnes exilées réfugiées en France se pose de plus en plus. Avez constaté cela au niveau des patients du Centre ?

Oui, cette question du vieillissement se pose, car certains réfugiés arrivent à un âge avancé. Ils sont en général venus tard en France ou ont obtenu le statut de réfugié tardivement. Ils n’ont pas travaillé, donc le sujet de leur revenu devient majeur. J’ai fait, en 2022, des demandes d’allocation de solidarité aux personnes âgées (revenu minimal vieillesse), ce que je n’avais jamais fait auparavant. La situation commence à devenir également préoccupante pour des patients que nous suivons depuis longtemps et qui avancent en âge.

Quelles sont les solutions face à cette nouvelle situation ?

Cela dépend du statut administratif de la personne, les personnes qui sont réfugiées ont des droits mais pas les personnes déboutées de leur demande d’asile, car elles ne sont pas en situation régulière. Cela veut dire, pour elles, le maintien dans un système d’urgence. Je prends l’exemple d’une patiente tchétchène, qui est arrivée relativement âgée en France et qui a été déboutée de sa demande d’asile. Elle se retrouve sans rien, nous avons fait une demande de régularisation, car elle vit en France depuis une dizaine d’années. De manière générale, la précarité n’a pas de fin pour une personne qui est arrivée en France à 45 ans. Supposons que cette personne obtienne des papiers ou le statut de réfugié à 50 ans, qu’elle arrive à travailler et à cotiser durant 10 ans, que fait-elle avec 10 ans de cotisation ? Et je parle d’une personne qui a pu travailler, qui n’est pas handicapée physiquement ou psychologiquement par l’exil. Sinon, l’aide minimale intervient, et encore faut-il avoir des papiers.  Pour les femmes, la situation est encore plus compliquée. Âgées, exilées, victimes de la torture ou violence politique, victimes de violence en France, c’est un cumul de vulnérabilités. On se rend compte de l’impact des politiques d’immigration sur les personnes exilées, que ce soit sur la personne réfugiée qui aura une petite retraite, sur celui qui n’a jamais pu travailler ou celle qui est déboutée et qui avance en âge.

Cela touche-t-il les personnes avec le statut de réfugié ?

Une personne avec un statut de réfugié peut prétendre au droit commun, mais, pour avoir droit à une retraite, il faut évidemment avoir cotisé. Si ce n’est pas le cas, elle pourra toucher l’allocation de solidarité aux personnes âgées qui est d’environ 900 €. Comment peut-on vivre avec 900 € ? Obtenir le statut de réfugié n’est pas, comme beaucoup le croient, la fin de l’inquiétude, mais le début d’un énorme travail. La personne rentre, certes, dans le droit commun, mais cela prend du temps avant que sa situation évolue. Pour beaucoup, c’est aussi un moment d’effondrement. Ils se sont énormément battus pour obtenir le statut de réfugié, et quel est le changement ? L’accès au droit commun est compliqué pour les personnes françaises, alors, pour des réfugiés…

Vous parliez l’année dernière d’une véritable urgence sociale qui touchait les patients, quelle a été la situation en 2022 ?

Elle n’est pas aussi tendue que l’année dernière, même si les distributions alimentaires restent saturées, car les gens donnent moins et davantage de personnes sont dans le besoin. Les lieux de collecte et revente sont également vides. Je parle là de personnes qui ont été régularisées ou qui ont le statut de réfugiés. Pour les personnes déboutées, la précarisation se poursuit. Nous avons distribué, grâce à un partenariat avec la Fondation Monoprix, des fournitures scolaires aux familles que nous accompagnons, car les besoins sont forts et ces fournitures manquent dans les lieux d’entraide.

Comment accompagnez-vous les patients ?

Le travail social ne se fait pas à la place d’une personne, il s’agit d’accompagner les patients vers l’autonomie. Je fais comprendre aux personnes pourquoi je lance telle ou telle action, pourquoi, par exemple, il faut renouveler l’Aide médicale d’État, j’essaye de donner du sens. Si une personne ne peut pas remplir son dossier, cela ne pose pas de problème, mais il faut qu’elle puisse comprendre ce qui est en jeu, pourquoi il faut renouveler telle demande à telle date. J’essaye de donner des repères aux patients. Certains savent à quoi ils ont droit, ils n’ont pas besoin de moi, d’autres ne savent pas comment accéder à ces droits, je les accompagne. L’arrivée dans un pays où tous les repères changent, qui plus est en Ile-de-France, est très violente.

Votre plus grande satisfaction en 2022 ?

Chaque année est très difficile pour les patients, l’attente dans la précarité pour une demande d’asile ou une régularisation est très longue, et, quand ils « tiennent » une année de plus, que nous avons tenu ensemble dans les bons et mauvais moments, la satisfaction est là. Certains obtiennent un statut de réfugié, certains sont régularisés après avoir connu la précarité et les années qui se ressemblent, comme ce patient que je suis, régularisé après 10 ans en France. Ma satisfaction est de travailler avec des gens comme lui, des gens vraiment incroyables.


Chiffres

93 % des sollicitations du service social concernaient l’accès aux droits sociaux

48 % des personnes qui se sont adressées au service social sont réfugiées statutaires

25 % des patients vivent dans une très grande précarité (sans domicile fixe / 115 / dispositif d’urgence)


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