Quel accueil pour les personnes exilées ?

Selon l’Académie française, le verbe « accueillir » peut être interprété comme le fait d’« aller au-devant de quelqu’un à son arrivée ». En cela, il revêt une acception positive, face à une personne attendue dont la présence est souhaitée. Dans ce contexte, l’objectif général de maîtrise de l’immigration qui, comme le rappelle la Cour des comptes[1], est au cœur des huit – et bientôt neuf – lois qui se sont succédé depuis le début des années 2000, revêt une tonalité dissonante. Cet enjeu de maîtrise est clairement énoncé dans l’intitulé de la loi du 10 septembre 2018 : Pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, ou du projet de loi introduit fin 2022 : Pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration. Et pourtant, la Cour des comptes souligne elle-même que « ce terme de “ maîtrise ” entretient un malentendu quant à la capacité des pouvoirs publics à limiter l’immigration [car] seule la moitié des premiers titres de séjours accordés […] procède d’une décision entièrement maîtrisée par les autorités publiques, l’autre moitié étant la contrepartie de droits individuels protégés par la Constitution et l’ordre juridique international, que l’État ne peut ni prévoir, ni restreindre[2] ».

Au premier rang de ces droits individuels, se situe le droit d’asile qui est inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946 et a été officialisé au niveau international par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés en 1951. De par cette obligation, le droit d’asile fait partie, selon les termes du Conseil d’État, de « l’identité constitutionnelle de la France ». Bien que juridiquement engagé, le pays des droits de l’homme reste cependant en retrait dans l’accueil des demandeurs d’asile. Si la France constitue le deuxième pays d’accueil de la demande d’asile au niveau de l’Union européenne en 2022[3], elle se situe loin derrière certains voisins au regard de sa population totale. Avec 131 000 demandes de protection introduites auprès de l’Ofpra en 2022 pour une population totale de 68 millions d’habitants (Insee), la France se place au 20e rang européen.

Ces chiffres sont plus largement à mettre en regard avec le nombre de réfugiés dans le monde. À fin 2022, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) dénombrait 108,4 millions de personnes déplacées de force dans le monde, en raison de persécutions, conflits ou violations des droits de l’homme, parmi lesquelles seulement un tiers avaient franchi une frontière[4]. Et, parmi ces dernières, plus de 70 % avaient trouvé refuge dans un pays voisin, principalement des pays à revenu faible ou intermédiaire. En 2021, les pays à revenu élevé n’hébergeaient que 16 % des personnes ayant fui la violence. Ce chiffre a cependant été revu à la hausse en 2022 (24 %), en raison de l’accueil par les pays européens de 8 millions de réfugiés ukrainiens[5].

Ces données font ressortir que les personnes qui fuient la violence au péril de leur vie, loin de rechercher un supposé eldorado européen, se déplacent en premier lieu dans leur pays d’origine ou vers un pays frontalier. Le parcours migratoire vers l’Europe, de plus en plus dangereux et accidenté, n’est envisagé qu’en dernier recours. Les personnes qui arrivent jusqu’aux frontières européennes ont donc survécu à de nombreux périls. Si elles ont fait preuve d’une exceptionnelle force de vie pour parvenir jusqu’à nous, leur parcours n’en est pas pour autant terminé. En 2020, un collège de praticiens du droit des étrangers composé de hauts fonctionnaires, universitaires, chefs d’entreprise, dirigeants associatifs et syndicaux, dénonçait « la tentation récurrente des autorités politiques et administratives de recourir à des stratégies de dissuasion privilégiant la précarité plutôt que l’établissement de droits pérennes[6] ». Ce même collectiffaisait état d’« un nombre important et croissant de situations de “ non droit ” », notamment des difficultés d’accès à la procédure d’asile ou aux conditions matérielles d’accueil, et soulignait« la situation des dizaines de milliers de demandeurs d’asile qui tardent à être pris en charge, et dont entre la moitié et un tiers ne seront pas hébergés ». Dans ce contexte, la « volonté plus ou moins consciente de compliquer le parcours des étrangers pour tenter de les dissuader de se rendre en France » apparaît hautement « problématique », en raison de ses effets pour l’ensemble des acteurs concernés, du fait d’une dégradation des conditions de travail dans les guichets uniques et lieux d’hébergement et d’un malaise diffus parmi les professionnels qui accompagnent les demandeurs d’asile. Cet accueil dégradé apparaît également problématique si l’on considère son « coût budgétaire […] alors même que la gestion de l’urgence […] et la multiplication des demandeurs à la rue sont finalement toujours les plus coûteux ».

Soucieuse de la bonne utilisation des fonds publics, la Cour des comptes souligne elle-même le caractère insuffisant des conditions matérielles d’accueil en matière d’hébergement. Malgré les efforts entrepris depuis plusieurs années pour augmenter les capacités du Dispositif national d’accueil (DNA), la proportion de demandeurs d’asile bénéficiant d’un hébergement reste insuffisante. Selon l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), la capacité du DNA pour les demandeurs d’asile était d’environ 100 000 places en 2022, parmi lesquelles 43 000 en Centre d’accueil pour demandeur d’asile (CADA), les autres places relevant de dispositifs temporaires présentant un niveau d’accompagnement très limité. Les personnes n’ayant pas accès à l’hébergement pâtissent cruellement d’un manque de soutien dans leur procédure de demande d’asile, ainsi que pour l’accès à des soins et services adaptés à leur situation. Comment, dès lors, envisager la prise en charge des effets cumulés des violences vécues dans le pays d’origine et durant le parcours migratoire, qui tendent à s’aggraver du fait de conditions de vie précaires et de la complexité des démarches administratives ?

La transformation numérique apparaît comme une réponse possible, voire nécessaire, pour simplifier l’accès aux droits face à « la complexité des normes, leur prolifération, la multiplication des textes interprétatifs, l’inefficacité des certaines procédures », avec toutefois la nécessité de veiller à sa « juste place […] dans des métiers des étrangers où le contact humain est indispensable à la dignité et à l’efficacité de l’action[7] ». Le Défenseur des droits fait part des risques que l’accélération de la transformation numérique de l’administration, comporte pour « celles et ceux qui ne sont pas rompus au maniement de l’outil informatique, qui n’ont pas accès à un équipement adéquat, qui ne disposent pas d’un accès au haut débit, qui ne peuvent maîtriser seuls la complexité des procédures ou du langage administratif[8] ». Cette situation est particulièrement prégnante pour les ressortissants de pays tiers de l’Union européenne qui sont « de facto les usagers les plus durement mis à l’épreuve », du fait de l’absence d’alternative à la dématérialisation des procédures administratives, avec « un grand nombre de dysfonctionnements structurels, entraînant d’importantes ruptures de droits pour les personnes concernées ». Qu’il s’agisse des modules de prise de rendez-vous saturés, de la généralisation quasi-systématique du recours contentieux pour accéder au guichet préfectoral ou du défaut d’harmonisation des services en ligne d’un département à l’autre, cette évolution fait « peser une charge considérable sur les travailleurs sociaux et les associations qui accompagnent les personnes dans leurs démarches ».

Relais de mise en œuvre des politiques publiques dans le champ de l’intégration des personnes étrangères primo-arrivantes, le secteur associatif tend de plus en plus à se substituer à l’administration dans un contexte où l’accueil physique devient l’exception et la dématérialisation la règle. Toutefois, son intervention dépasse largement la seule médiation entre des usagers et des services difficiles d’accès et requiert d’être largement soutenue par les pouvoirs publics. L’accompagnement des demandeurs d’asile ne peut se résumer à une simple démarche administrative. Il concerne des vécus humains effractés par la violence et la négation, confrontés à l’incertitude, la précarité, voire à la rue, qui tendent à aggraver la perte de repères et la dé-subjectivation inhérente à la violence intentionnelle. Outre une nécessaire protection juridique, le mieux-être de ces personnes repose sur l’accès aux soins, le rétablissement de la relation à l’autre, la réhabilitation de leur être au plus intime d’elles-mêmes, une présence continue et inconditionnelle pour progressivement dépasser les effets du traumatisme.

Rétablir un véritable accueil requiert de revenir aux fondements juridiques et aux valeurs fondatrices de notre pays, en proposant à chacun et chacune un hébergement digne, un accompagnement adapté et un accès facilité aux démarches administratives. L’enjeu est de révéler « ce que notre pays compte d’enthousiasmes à accueillir[9] », à l’image de la forte mobilisation citoyenne suite au déclenchement de la guerre en Ukraine. Tirons-en collectivement des enseignements pour réserver le meilleur accueil à celles et ceux qui fuient la violence au péril de leur vie.

Hélène Bonvalot, directrice générale du Centre Primo Levi


[1] Cour des comptes, L’Entrée, le Séjour et le Premier Accueil des personnes étrangères, Rapport public thématique, avril 2020.

[2] Cour des comptes, Synthèse du Rapport public thématique, avril 2020, p. 9.

[3] Conseil de l’Union européenne, Infographie – Demandes d’asile dans l’UE, juin 2023.

[4] UNHCR, Aperçu statistique, juin 2023.

[5] UNHCR, Global Trends 2022.

[6] Collège de praticiens du droit des étrangers, Pour des politiques migratoires conformes à toutes les exigences de la République. Faire reculer les situations de non-droit, 21 janvier 2020.

[7] Ibidem.

[8] Défenseur des droits, Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ?, février 2022.

[9] Collège de praticiens du droit des étrangers, ibidem.