Le 11 avril 1987, il y a 37 ans, Primo Levi mourrait dans sa ville natale de Turin. A cette occasion, nous republions cet éditorial écrit dans notre revue Mémoires (n°76 – novembre 2019)
Avec fierté et humilité nous portons le nom de Primo Levi.
Pour lui rendre hommage1, nous organisons un grand évènement les 15 et 16 novembre : Dire l’indicible – Primo Levi, la force du récit.
Inspiré par ce très beau thème choisi par les équipes du Centre Primo Levi, je voudrais évoquer cette notion de force, en contradiction apparente avec l’état de faiblesse et de précarité dans lequel se trouvent les rescapés, les exilés et tous ceux qui subissent et fuient la violence.
Les mots sont force de vie.
Or la violence fait taire et si vivre c’est parler alors faire taire c’est tuer.
Dès lors comment revivre après Auschwitz, après la torture, après la violence ?
Raconter devient une nécessité.
Il y a d’abord le besoin vital du survivant qui le force à raconter, pour continuer à vivre, pour cicatriser avec des mots les plaies causées par la violence. Raconter pour combler avec le mortier de la parole les trous béants laissés par les bombes dans les murs de sa maison intérieure, pour éviter qu’elle ne s’effondre.
Ensuite, le récit est force en ce qu’il donne du pouvoir à celui qui raconte, il lui redonne des droits et en premier lieu le droit de s’exprimer, d’être entendu et donc d’exister à nouveau.
Quand on a été délogé par la guerre, la misère, l’exil ou la torture, prendre la parole c’est, par la force du récit, prendre le pouvoir et c’est reprendre sa place dans la société.
Le récit est aussi un instrument qui force la porte des consciences et des institutions. Cet indicible que personne ne veut entendre il faut beaucoup de puissance et de courage pour le faire passer avec des mots.
Ceux qui l’entendent, enfin, deviennent forts du récit qu’ils reçoivent, ils en deviennent les dépositaires, les propriétaires.
Ces récits deviennent une richesse, un patrimoine mais aussi un viatique et une boussole pour naviguer par gros temps.
Ces récits sont précieux, ils nous donnent à comprendre comment la violence vient et s’empare des êtres humains, des corps et des esprits, des familles et des sociétés. Ils nous instruisent et nous alertent.
Nous sommes forts de ces récits.
Mesure-t-on bien les montagnes qu’il faut déplacer simplement pour raconter ? Mesure-t-on la force, justement, que cela nécessite ? A l’inhumanité de la violence, il faut opposer une force surhumaine.
D’où vient cette force ?
Elle vient de l’énergie qui naît, toujours et partout, lorsqu’il s’agit de combattre pour la dignité.
Cette force nous la retrouvons dans les récits de nos patients qui se battent, avec l’aide des cliniciens du Centre Primo Levi, pour reprendre le pouvoir sur leur vie, pour retrouver leur dignité.
- A l’occasion du centenaire de sa naissance ↩︎