Mémoires n°88 – mai 2024
Prix : 8 euros (papier) / gratuit (en ligne)
ÉDITO
D’un état à l’autre
On ne fait que passer.
D’un état à l’autre.
D’une frontière à l’autre.
Les émotions, les opinions, les âges de la vie, notre place dans la société, dans nos familles ou au travail, notre santé, nos sentiments, d’un état à l’autre nous ne faisons que passer.
Frontières de notre corps et de notre intimité.
Frontière ultime entre la vie et la mort.
Les frontières sont partout dans le cours de notre existence, physiques ou mentales, conscientes ou inconscientes, visibles ou invisibles, spatiales ou temporelles.
Nous sommes traversés de frontières.
Elles nous enchâssent.
Et nous, nous allons et venons, immuablement ; notre vie est une suite de passages et chacun porte en lui un bouleversement et une promesse, un deuil et un espoir.
Ce mouvement est notre sève. Il nous fait singuliers et universels, précaires, humains.
Ainsi, les frontières sont loin d’être uniquement une construction utilitaire et sécuritaire des États-nations, elles sont avant toute chose des lieux symboliques qui résonnent des échos de nos vies et de nos changements successifs d’identité.
Aussi, quand il s’agit d’en parler et de dire ce qui est la bonne mesure en matière d’accueil, le sujet est politique mais il est aussi très intime.
Au Centre Primo Levi nous savons, et nous en témoignons, que le mélange de l’intime et du politique est explosif.
Réduire grossièrement le sujet, figer brutalement les positions entre les gentils sédentaires et les méchants nomades, montrer perpétuellement une figure hostile de l’exilé, donner aux citoyens l’illusion qu’ils vivent dans un continent assiégé, oublier son histoire et méconnaître celle des autres, se laisser gouverner par la peur, tout cela nous conduit inéluctablement à la violence et nous rapproche de la frontière qui sépare la paix de la guerre.
A moins qu’une guerre qui ne dit pas son nom, une de plus, n’ait déjà commencé.
30.000 morts en Méditerranée.
Il nous reviendra, un jour, la lourde responsabilité de définir à quelle armée appartenaient ceux qui gisent au fond de la mer.