Mémoires n°84 décembre 2022 Prix : 8 euros (papier) / gratuit (en ligne) ÉDITO Penser la clinique de l'impensable Depuis 1995, le Centre Primo Levi reçoit et soigne inlassablement les personnes victimes de la torture et de la violence politique, qui viennent trouver refuge sur notre sol pour échapper au pire. Femmes, hommes, enfants, chacun arrive avec son histoire, son lot de souffrances physiques et psychiques, séquelles d’une violence extrême qu’il est difficile de raconter, tant elle relève de l’inimaginable, de l’inénarrable. C’est alors un long cheminement qui débute, fondé sur la parole, pour accueillir et accompagner chacun et chacune à son rythme, dans la langue de son choix et le respect de sa singularité, dans les différentes dimensions de son être et de son vécu traumatique, aux différentes étapes de son parcours migratoire, pour lui permettre de redevenir sujet après avoir été réduit à l’état d’objet entre les mains du bourreau. On ne guérit pas de la torture, mais avec une prise en charge adaptée, on peut en dépasser progressivement les effets, pour vivre enfin et pas seulement survivre. Pour ce faire, les cliniciens et cliniciennes du Centre Primo Levi réalisent un travail d’une grande finesse, fruit d’une rigueur éthique sans faille, qui repose sur un étroit maillage pluridisciplinaire et un engagement de tous les instants. Penser une clinique de l’extrême, se détacher des effets d’une violence abrasive qui attaque la pensée et bouleverse tous les repères, requiert la mise en place d’espaces de réflexion et de prise de recul. Pour dépasser l’état de sidération et continuer à penser, le Centre Primo Levi a créé dès 1997 la revue Mémoires, qui permet aux cliniciens et cliniciennes de réfléchir ensemble aux effets de la violence et de l’exil. Au fil du temps, la revue va s’ouvrir à d’autres regards, donner la parole à des contributeurs issus du monde militant, universitaire, institutionnel…, explorer de nouveaux angles thématiques pour encore et toujours penser cette clinique de l’impensable. Aujourd’hui, alors que l’accueil des personnes exilées revêt des enjeux politiques majeurs et vient ébranler les principes de solidarité de nos sociétés européennes, alors que la guerre en Ukraine a montré qu’il était possible d’ouvrir ses portes et de bien accueillir, alors que les demandes de formation sont croissantes et qu’il est plus que jamais nécessaire d’informer et sensibiliser sur les effets de la torture, de la violence politique et de l’exil, le Centre Primo Levi a souhaité réaffirmer ce qui fonde son projet de soins. Ce numéro spécial cherche à apporter une lecture croisée des enjeux associés à la prise en charge des personnes exilées. Le travail pluridisciplinaire, la psychanalyse associée à un travail sur le corps, le recours à l’interprétariat professionnel, l’accès aux droits et à la procédure d’asile, la clinique de l’enfant sont autant de sujets que nous avons souhaité partager avec vous dans ce numéro spécial qui rassemble des articles publiés depuis la création de la revue. À vous qui êtes engagés au quotidien dans l’accueil et l’accompagnement des personnes exilées, ce recueil propose un éclairage transversal. Il souhaite vous apporter des clés de compréhension des enjeux associés à la prise en charge des effets de la violence politique et de l’exil et vise à vous soutenir dans votre réflexion et votre pratique professionnelle. J’espère que ces apports seront utiles et précieux pour renforcer votre action auprès de celles et ceux qui ont dû quitter leur pays pour continuer à vivre. Antoine Ricard, président du Centre Primo Levi