Accueillir autrement

Déborah Caetano, Juliette Krassilchik et Adèle Legros composent le service accueil du Centre Primo Levi. Premier contact des personnes exilées avec notre institution, leur rôle est indispensable pour accueillir autrement.

Que retenir de 2022 au niveau de votre position, l’accueil ?

Adèle Legros : La question de l’urgence est souvent revenue. Quand la situation d’une personne est critique, nous renvoyons vers les urgences hospitalières ou vers d’autres structures de soins avec des délais plus courts et des suivis moins longs. Nous avons eu un nombre important d’appels au moment de l’attaque russe de 2022 en Ukraine, soit venant d’Ukrainiens, soit de personnes qui connaissaient des Ukrainiens ou de personnes qui se portaient volontaires pour en héberger.

Déborah Caetano : L’élan de solidarité a effectivement été très fort. Nous prenions le temps d’expliquer que nous intervenons dans un deuxième temps et donnions les coordonnées d’autres structures. Je retiens également de 2022 le fait que, contrairement à la période de la crise sanitaire, tous les entretiens d’accueil se sont faits dans nos locaux, en présentiel, avec les personnes qui, si elles rentraient dans le cadre de notre mandat, sont devenues patientes du Centre. Nous assurons trois jours de permanence téléphonique par semaine où nous recueillons des demandes d’origines très diverses, émanant d’assistants sociaux, d’avocats, du personnel éducatif et social de foyers, de soignants (médecins, psychologues, psychiatres) ou d’associations en lien avec les personnes exilées.

Juliette Krassilchik : Nous percevons certaines fois une attente cachée dans les demandes des professionnels ou bénévoles. Nous voyons bien que les équipes sont débordées, nous prenons le temps de leur parler. J’ai par ailleurs eu l’impression encore durable d’un grand nombre de demandes sociales, de la part de personnes qui nous appelaient directement ou qui se présentaient spontanément après avoir été orientées par le 115 ou par des patients déjà suivis au Centre.

Vous aviez constaté l’année dernière une forte fatigue des acteurs médicaux ou sociaux en lien avec les personnes exilées, est-ce toujours le cas ?

DC : Cela s’est apaisé. Il y a toujours de l’impuissance, de l’urgence, mais plus comme pendant l’épidémie de Covid-19, les gens étaient alors perdus et très atteints. Là, nous voyons beaucoup moins de fatigue. C’est ce que j’ai constaté lors des permanences téléphoniques.

AL : La période de la pandémie a été très singulière. Nous avons une impression d’amélioration, car nous sortons d’un moment très difficile, mais je ressens quand même des équipes laissées à elles-mêmes, parfois de l’épuisement, c’est un marqueur. J’ai eu le sentiment que les bénévoles et professionnels qui nous ont contactés étaient souvent très affectés, qu’ils avaient du mal à trouver des relais institutionnels. Les délais de prise en charge, notamment dans les structures pouvant accueillir des personnes allophones dans de bonnes conditions, sont souvent très longs. Tout le monde est surchargé.

JK : Je ressens la même chose. On le voit aussi parfois chez nos patients, certains ont du mal à voir une assistante sociale, d’autres à sécuriser leur abonnement de transport. Avec la dématérialisation de l’administration, beaucoup de choses se perdent, il y a des retards, des délais ratés.

AL : Globalement, le secteur médico-social, public comme privé, est sous-financé et va mal depuis des années. Les personnes exilées sont les premières à en pâtir.

Vous occupez une position particulière en étant « au centre du Centre », comment le vivez-vous ?

DC : Quand tu es à l’accueil, tu accueilles tout le monde, tes collègues, les patients, les interprètes. Il est important d’être à trois, parfois nous avons besoin de faire un pas de côté, de nous relayer, de nous reposer les unes sur les autres. Il faut être attentif à tout, être bienveillant pour que cela fonctionne, que ce soit fluide et pour éviter les fausses notes. L’accueil est la vitrine de l’association.

AL : La clinique au Centre Primo Levi est très difficile. Nous ne connaissons bien sûr pas le contenu des consultations que mènent nos collègues, mais il arrive que certains en ressortent ébranlés, nous sommes à leur écoute. Il y a une grande solidarité entre nous trois, nous sommes ensemble et nous nous soutenons dans les moments difficiles.

DC : L’accueil a toujours fonctionné, quels que soient les moments que traverse notre institution, nous avons tenu. L’accueil n’a pas de temps partiel, il n’arrête jamais.

JK : Nous sommes un pivot de cette institution, si l’accueil ne marche plus, plus rien ne fonctionne. Nous sommes au centre, nous absorbons beaucoup de choses, nous sommes là pour rassurer, malgré les soubresauts, malgré les départs.

Quelle est votre relation avec les patients ?

DC : Nous voulons notre accueil chaleureux, bienveillant et non jugeant, tout en gardant la bonne distance. Nous acquérons un professionnalisme et une « technicité » au contact des patients, de la clinique. Nous apprenons énormément d’eux, mais aussi de nous-mêmes.

JK : Nous rappelons le cadre, les règles, tous ou presque le comprennent, ils sont très prévenants, un peu en miroir de notre attention à nous. Nous temporisons leurs demandes, il n’y a pas de réponse automatique. Nous les intégrons, nous les entendons et, ensuite, nous avisons. C’est une manière de nous préserver, de les préserver de cette effusion de la demande, de l’angoisse qu’ils peuvent avoir, cela fait partie du soin.

AL : Nous connaissons les patients. Par exemple, certains ont des problèmes de mémoire, ce qui est une des manifestations du trauma, nous nous adaptons. Nous avons de manière globale à cœur de ne pas reproduire ce que les patients vivent dans les institutions. Nous connaissons la politique de guichet, les attentes, le manque d’accès aux droits et les discriminations que les patients subissent. Notre métier est de faire autrement. Nous nous rendons compte aussi que notre manière de faire n’est pas parfaite. Mais, tant que nous nous posons des questions sur notre pratique, c’est que l’envie de faire notre métier est toujours là.   


Les chiffres :

4 à 5 demandes de prises en charge par semaine

68 entretiens d’accueil formalisés, 29 ont donné lieu à un suivi

7 à 8 mois d’attente pour une orientation auprès d’un psychologue après le premier entretien d’accueil


Vous pouvez retrouver l’ensemble des articles du rapport annuel ici