« Une des premières choses que je fais le matin est de me connecter aux sites internet des différentes préfectures et de documenter l’absence de rendez-vous disponibles en prenant des captures d’écran », souligne Aurélia Malhou, juriste au Centre Primo Levi, pointant ainsi du doigt un problème de plus en plus préoccupant : la dématérialisation de l’accès au service public, source majeure d’entrave à l’accès aux droits pour les plus vulnérables. Elle poursuit : « Nous avons beaucoup moins accès aux préfectures qu’avant, où nous pouvions nous présenter physiquement pour demander un rendez-vous. » Des rendez-vous qui ne peuvent donc être demandés qu’en ligne et qui sont surtout devenus extrêmement difficiles à obtenir. Dès lors, dans beaucoup de préfectures en Ile-de-France, le seul moyen, actuellement, d’obtenir un rendez-vous est souvent le recours au juge administratif par un référé « mesures utiles ». « Mais, pour obtenir par ce biais le rendez-vous en préfecture, il faut présenter un dossier suffisamment solide et déjà rassembler les preuves de présence en France, ou des éléments concernant les enfants, leur scolarité, en plus des captures d’écran, et la preuve d’envoi de courriers ou courriels à la préfecture. Je parle bien ici du dossier à constituer pour que le juge enjoigne le préfet de donner un rendez-vous à la personne. »
« Un temps d’écoute essentiel »
En moyenne, 5 personnes par jour, toutes suivies au Centre Primo Levi, poussent la porte du bureau d’Aurélia. Ce matin de décembre, elle reçoit pour la première fois Mme M., qui a été déboutée de sa demande d’asile. Elle est en France depuis presque 4 ans, mais se retrouve sans passeport ni couverture médicale, et ses deux enfants n’ont pas d’état civil. « Elle est suivie au Centre par une psychologue, une assistante sociale et un médecin », indique Aurélia. « Mes collègues l’ont orientée vers moi pour réfléchir aux démarches administratives éventuelles. Il y aurait une possibilité pour cette dame d’obtenir un titre de séjour en tant que parent d’enfants scolarisés, mais il faut 5 ans de présence en France. Ce serait aussi possible pour soins, car elle suit un traitement médical. Malgré des éléments nouveaux, une demande de réexamen de sa demande d’asile est compliquée pour elle tellement la première demande d’asile a été douloureuse, et elle ne souhaite pas revenir une fois de plus sur son vécu traumatique, ce qu’elle m’a clairement dit. » Cette première rencontre est tout de même l’occasion de l’écouter sur son parcours de demandeuse d’asile, de récolter les éléments en sa possession pour constituer un dossier à son nom, pour penser à une autre démarche. Les situations que suit Aurélia sont très diverses, « chaque cas est unique », souligne-t-elle. Mme R. est la dernière à se présenter en cette fin d’après-midi, accompagnée de sa fille. Après plusieurs titres de séjour pour soins, elle a finalement obtenu une carte de résident de 10 ans. Sa fille est aussi suivie au Centre. À quelques mois de sa majorité, elle doit se préparer à faire une demande de titre de séjour, mais elle n’arrive pas à obtenir un rendez-vous en ligne sur le site de sa préfecture. Une fois le rendez-vous en préfecture obtenu, il est essentiel de bien préparer le dossier : « Nous préparons le rendez-vous ensemble avec la personne au moins une semaine avant », explique la juriste du Centre Primo Levi. « Tous les documents doivent être prêts. Il peut y avoir deux ou trois temps de préparation, car il faut réactualiser le dossier. Les rendez-vous à la préfecture sont déjà très difficiles à obtenir, il serait très dommage qu’un document manque. » Dès qu’elle peut, Aurélia se rend avec les patients en préfecture pour le dépôt de leur dossier, un soutien nécessaire : « Car les personnes que nous accompagnons peuvent perdre tous leurs moyens, elles sont souvent très stressées face à l’administration et, comme elles sont sans-papier, elles craignent aussi d’y être arrêtées. » Et Aurélia de conclure : « Certaines situations peuvent être très lourdes, notamment quand je travaille le récit de vie avec la personne pour une demande d’asile. Chaque situation a sa problématique, cela peut vraiment varier, mais je prends le temps, car c’est aussi un temps d’écoute qui me semble essentiel. »
Les chiffres
- 149 patients ont été reçus par la juriste en consultation pour différentes démarches
- 47 patients avaient été déboutés de leur demande d’asile et se trouvaient sans papier
- 53 patients étaient en procédure de demande d’asile, 36 d’entre eux ont obtenu une protection en 2021
- 525 consultations assurées par le service juridique
- 52 titres de séjour et décisions d’admission au statut de réfugié accordés
La fin de l’année 2021 a été marquée par une grève importante des avocats à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) à partir d’octobre, qui se poursuit en 2022. Ce mouvement a été porté par l’association ELENA qui regroupe de nombreux avocats spécialisés en droit d’asile pour dénoncer un certain nombre de dysfonctionnements de la Cour, dont le recours croissant au rejet par ordonnance. Ce type de rejet sans audience est incontestablement une atteinte aux droits de la défense, puisque cela signifie que les demandeurs d’asile ne seront pas entendus par les juges et assesseurs, sans que ceux-ci ne soient avertis.