Article paru dans le rapport annuel 2021.
Si la formation est un exercice sans cesse en mouvement, cela est d’autant plus vrai au Centre Primo Levi. Nathalie Dollez, psychologue clinicienne et formatrice, témoigne de sa pratique, entièrement basée sur le suivi de ses patients.
Quelle est votre posture en tant que formatrice ?
Nathalie Dollez : Avant d’intégrer le Centre Primo Levi, je faisais déjà de la formation dans des écoles d’aides-soignants ou d’infirmiers à partir de mon expérience à l’hôpital en soins palliatifs et en maternité. Je ne pourrais pas être formatrice en dehors de la clinique, qui est un véritable enseignement, qui vient nourrir la formation, qui n‘est pas figée, et dans laquelle j’apprends tout le temps. Je n’ai jamais le sentiment que je sais les choses une fois pour toutes. J’enrichis mes formations à partir du suivi des patients ou de mes lectures. J’arrive avec une base très construite, mais je l’adapte systématiquement aux remarques et aux interrogations qui se formulent au fil de chaque session. Le but de la formation n’est pas qu’elle repose uniquement sur un savoir préétabli, universitaire, mais que les participants s’impliquent subjectivement, qu’ils se demandent comment les outils ou les concepts dont je leur parle leur serviront dans leur pratique quotidienne. D’où le va et vient nécessaire entre les situations cliniques qu’ils rencontrent et des éléments théoriques.
Comment abordez-vous une formation ?
ND : Les personnes que nous formons traitent ou accompagnent des personnes traumatisées. Ils s’impliquent beaucoup, comme nous au Centre Primo Levi, qui avons avec la chance d’être une équipe pluridisciplinaire, avec une bonne armature. Ce qui parle à ces personnes est de partir de la clinique. Les formations que nous donnons ne peuvent pas en être déconnectées. Elles sont nées du centre de soins, de notre désir de transmission. Les exemples que je donne sont parlants car ils en sont issus. J’amène des éléments pour expliciter ce qu’est le traumatisme. Je parle de choses très précises.
J’essaye d’être dans l’interaction, de voir comment les participants réagissent, je prends le pouls du groupe. Je les fais ensuite parler sur eux, sur leur pratique, parfois sur leur fatigue professionnelle. Je les questionne pour mettre en place un dialogue, pour qu’ils s’expriment avec leurs mots, je vais les chercher. Qu’ils n’aient pas forcément les outils du savoir psychanalytique n’est pas déterminant. Mes patients au Centre Primo Levi ou dans mon cabinet n’ont pas besoin de savoir ce qu’est la psychanalyse pour en sentir les effets d’allégement, de nouage à la pensée. Je travaille beaucoup pour dire les choses le plus simplement et le plus clairement possible. Les formations m’apprennent d’abord quelque chose à moi-même, je suis toujours dans l’interrogation.
Comment les groupes que vous formez réagissent-ils ?
ND : Cela dépend des groupes, des personnes, certaines posent beaucoup de questions, d’autres sont plus silencieuses et il faut aller les chercher. C’est très variable. Mais, de manière générale, ce dialogue entre elles et moi me fait me poser des questions sur ma propre clinique. Tout l’intérêt des formations est là, elles nous obligent à élaborer, réélaborer, c’est ça qui les rend vivantes.
Observez-vous des marques de fatigue parmi les équipes de professionnels que vous formez ?
ND : Oui, vous pouvez sentir que l’appareil de pensée est abîmé, que les gens sont fatigués, qu’il n’y a plus la même énergie. Cela touche tous les domaines, pas seulement celui de l’exil, avec notamment des politiques publiques qui usent et abusent d’une langue managériale et administrative, laquelle déshumanise la pratique et dans laquelle les professionnels ne se retrouvent pas. Leurs directions, sous prétexte d’organisation institutionnelle, n’arrivent plus à nouer un dialogue avec eux. Et cela, au lieu de potentialiser les prises en charge et l’énergie des équipes, sape leur implication.