Le Centre Primo Levi accueille et soigne des hommes, des femmes et des enfants qui ont été victimes de la torture et de la violence politique et qui sont venus trouver refuge en France. Par « torture et violence politique », on entend des violences extrêmes infligées volontairement par un ou des représentants d’un Etat, généralement dans le cadre d’un génocide, d’un régime violemment répressif ou d’une guerre. Contrairement à ce que laissent penser les discours ambiants et les pourcentages d’octroi du statut de réfugié en France, la torture n’est malheureusement pas l’apanage de quelques régimes isolés tels que celui de Bachar Al Assad : d’après le rapport sur la torture publié par l’ACAT en 2014, la torture est pratiquée dans plus d’un pays sur deux.
Or les victimes de la torture et de la violence politique continuent de passer à travers les mailles du filet de l’asile : Eléonore Morel, directrice du Centre Primo Levi, fait remarquer que « 20 à 40% des patients sont déboutés et risquent à tout moment d’être renvoyés dans leur pays ».
Jacques , un jeune Soudanais de 19 ans, en est un exemple frappant. Suite à la mort de sa petite amie dans un accident de voiture dont lui ressort indemne, Jacques est menacé par le père, haut gradé de l’armée, et par ses sbires. Il parvient à fuir mais une fois en Belgique, alors qu’enfin son dossier de demande d’asile est presque prêt, il se fait arrêter et renvoyer au Soudan. A peine sorti de l’avion, il est embarqué par la police et immédiatement envoyé en prison. Les tortionnaires ont trouvé sur les réseaux sociaux les photos de manifestations auxquelles il a participé en Belgique. Pendant plus de deux mois, il sera quotidiennement torturé, violé, humilié, menacé de mort. Une fois libéré, il quitte de nouveau son pays, cette fois pour la France, où il dépose une demande d’asile. Débouté de cette demande sous prétexte de n’avoir pas assez de preuves pour étayer son récit, il s’enfonce dans la dépression. Aujourd’hui suivi par un médecin et un psychologue du Centre, il vit dans la terreur d’être une fois encore renvoyé dans son pays.
Comment est-il possible que ce jeune homme, comme tant d’autres victimes de torture, puisse être débouté ? Voici quelques unes des raisons qui peuvent l’expliquer. Tout d’abord, l’un des effets courants de la torture est d’altérer la mémoire de la victime et sa capacité à parler de son vécu : fournir un récit cohérent (qui plus est pour parler de violences dégradantes touchant souvent à l’intime, devant un officier de protection qu’ils peuvent associer à un officier de police) relève presque de l’impossible pour ces personnes, surtout quand elles viennent d’arriver dans le pays d’accueil et qu’elles sont dans une situation très instable, sans prise en charge médico-psychologique. Rappelons ensuite que l’instruction de la demande d’asile à l’OFPRA se fait sur un unique entretien d’une heure en moyenne, doublé en cas de recours à la CNDA d’une audience de moins d’une heure, sachant que le temps de parole du demandeur est encore réduit si la présence (indispensable) d’un interprète est requise. Pour compléter le tableau, les taux d’admission varient considérablement d’un juge à l’autre : d’après une étude réalisée par Anicet Le Pors, juge de l’asile à la Cour nationale du droit d’asile pendant quatorze ans, le rapport est de 1 à 30. Et contrairement à d’autres juridictions du droit commun, il n’y a contre la CNDA aucun appel possible.
La procédure d’asile est loin d’être infaillible, tout simplement parce qu’elle repose essentiellement sur l’intime conviction des hommes et des femmes en charge de l’examen des demandes. De ce fait, alimenter l’image d’un asile prétendument « dévolu » par de « faux » demandeurs d’asile est dangereux ; conditionner l’accueil des « vraies » personnes en besoin de protection au renvoi de celles qui n’y auraient pas droit l’est encore plus.