Femmes exilées, une violence continue

A l’occasion du 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le Centre Primo Levi publie un rapport « Femmes exilées, une violence continue ». L’exil féminin, dont les problématiques ont longtemps été reléguées au second plan, est maintenant comparable à celui des hommes et est caractérisé par une violence continue, politique, aux conséquences psychologiques profondes.

Cette tendance se confirme depuis une dizaine d’années et se retrouve aussi au Centre Primo Levi, qui reçoit chaque année environ une moitié de femmes. L’exil des femmes est maintenant plus solitaire, plus autonome et est en ce sens assez similaire à celui des hommes. Il est de la même manière caractérisé par un continuum de violence. « Violence dans le pays d’origine, violence sur le parcours d’exil sous la coupe des passeurs et des membres de la police ou de l’armée des pays traversés. Violence en Europe où la brutalité continue. Enfin violence en France, où même si le cauchemar diminue la violence non palpable, sociale, économique, psychologique se poursuit » affirme Hélène Bonvalot, directrice générale du Centre Primo Levi.

Au Centre Primo Levi, la quasi-totalité des femmes accompagnées a subi des violences sexuelles, soit dans leur pays d’origine, soit sur le chemin de l’exil. Ces violences ont été tellement systématisées et répétitives qu’elles finissent par être comme banalisées par les patientes elles-mêmes. Elles ne sont ainsi pas le fruit du hasard, de la mauvaise rencontre, mais bien politiques, institutionnalisées. Enfin, elles restent encore très rarement punies, malgré leur gravité et leurs conséquences très profondes.

 « Le rapport des femmes exilées à leur corps est ébranlé. Il ne semble plus leur appartenir, instaurant une forme de distance. Il semble abandonné, comme s’il n’était plus habité. La sphère la plus intime est touchée, atteignant le plus profond de ce qui nous permet d’être en tant que personne. Les patientes demeurent dans le silence, ne pouvant dire mot sur ce qui leur est arrivé. Elles se disent dépossédées de leur corps. Lorsqu’elles en parlent, elles se sentent ‘’dégoutées’’, ‘’abimées’’, ‘’gâchées’’. Il est important de préciser que cette effraction du corps produit des effets similaires quel que soit le genre de la personne », déclare Antoine Ricard, président du Centre Primo Levi.

L’arrivée en France, au lieu d’offrir un répit indispensable, est très souvent synonyme de vulnérabilité permanente et de basculement dans la précarité avec des effets psychiques flagrants. La violence continue enfin dans la demande d’asile. On se méfie de celle qui vient demander l’asile et va devoir prouver qu’elle « mérite » la protection de la France en racontant son histoire. Or, lestée par le trauma, elle est souvent incapable de s’exprimer et de dérouler un discours logique et convaincant, attendu notamment de la part des militantes politiques. Surtout, cette nécessité de raconter se limite aux faits survenus dans le pays.

Ici se trouve le grand manque dans la procédure d’asile actuelle : la violence subie sur le parcours migratoire est abordée lors de la demande et le trauma qui en résulte est évoqué mais elle ne pèsera pas dans la décision d’octroi ou de rejet. Ou à la seule condition que les violences subies fassent courir un risque à la personne si elle retourne dans son pays. Un retour qui n’est de toute manière que très rarement envisagé, les femmes qui quittent leur pays le font car elles n’ont plus le choix si elles veulent continuer à vivre


Recommandations

L’exil est maintenant aussi féminin, désormais la violence et la douleur liées à l’exil concernent aussi, massivement, les femmes. Cette nouvelle réalité de l’exil touche la France et, plus largement, l’Europe. Sa politique d’accueil et d’asile doit s’adapter en conséquence. Le Centre Primo Levi a écrit le rapport « Femmes exilées, une violence continue » pour alerter sur la situation de ces femmes et formule les recommandations suivantes :

•             Garantir la prise en compte des violences qu’elles subissent sur le parcours de l’exil, et du psycho-traumatisme qui en découle, dans la demande d’asile ;

•             Assurer un hébergement digne, durable et adapté, en renforçant notamment le nombre de places d’hébergement spécialisées ;

•             Renforcer l’autonomie des femmes exilées en développant des formations en français et en leur ouvrant la possibilité de travailler dès le dépôt de leur demande d’asile ;

•             Former les professionnels, bénévoles ou salariés qui sont en première ligne dans l’accueil des femmes exilées pour que soit véritablement comprise et prise en compte leur réalité.

Chiffres

  • 401 personnes sont suivies au Centre Primo Levi dont 179 femmes soit 44.64 % des patients, dont 34 mineures ;
  • Ces femmes viennent de 37 pays, dont 65% d’Afrique subsaharienne (majoritairement de République démocratique du Congo), 12% du Caucase (majoritairement de Tchétchénie), 9% du Moyen-Orient (majoritairement d’Afghanistan) et 7% du sous-continent indien (majoritairement du Sri Lanka) ;
  • La quasi-totalité des patientes du Centre a connu des violences sexuelles ;
  • Au niveau mondial en 2020, les femmes représentaient un peu moins de la moitié de la population migrante et 50,5 % des personnes déplacées dans le monde[1] ;
  • En 2020, les femmes représentaient 51,5% des personnes étrangères présentes en France, tous types d’immigration confondus[2] ;
  • Pour les premières demandes d’asile en France, la proportion de femmes est passée de 29,6 % en 2001[3] à 34,4 % en 2022[4].

Le Centre Primo Levi est une association spécifiquement dédiée au soin et au soutien des personnes victimes de la torture et de la violence politique exilées en France. Dans son centre de soins situé à Paris, elle accueille chaque année plus de 400 personnes originaires de près de 50 pays différents. Fort de son expérience clinique, le Centre Primo Levi sensibilise et forme de nombreux professionnels engagés auprès des personnes exilées pour promouvoir une prise en charge adaptée. Enfin, il mène des actions de plaidoyer pour défendre l’accès aux soins et le droit d’asile.

Contact presse :

Maxime Guimberteau

01 43 14 85 03 / 06 98 90 18 87

mguimberteau@primolevi.org


[1] « NATIONS UNIES, International Migrant Stock 2020 »

[2] « NATIONS UNIES, International Migrant Stock 2020 »

[3] « Rapport d’information sur le projet de loi relatif à la réforme de l’asile » – Assemblée nationale – Novembre 2014

[4] « Rapport d’activité 2021 » – OFPRA