À l’occasion de la refonte de la Directive européenne Accueil qui sera votée en juin prochain, nous demandons à ce que, conformément à la proposition du rapport du Parlement européen, l’apprentissage de la langue du pays d’accueil soit inclus parmi les conditions minimales d’accueil des demandeurs d’asile.
« Entre ceux qui comprennent et ceux qui ne comprennent pas, il y a un abîme. Les uns seront sauvés, les autres pas », déclarait Primo Levi dans un entretien à l’occasion d’un retour à Auschwitz dans les années 80. Il y évoquait l’« effondrement moral » de ceux qui devenaient soudain « sourds et muets » dans un environnement étranger. Ainsi, la formation linguistique répond à l’objectif de la Directive Accueil de garantir « des conditions de vie dignes » et d’assurer l’« intégrité physique et psychologique » des demandeurs d’asile. Elle doit être considérée comme un droit fondamental, au même titre que l’accès à la santé, au logement et aux besoins élémentaires. La plupart des demandeurs d’asile fuient dans des circonstances très difficiles et ont souffert de graves persécutions dans leur pays.
L’isolement dû à la barrière de la langue les empêche de se reconstruire, d’accéder à une autre société et de se libérer de leurs traumatismes. Voués à la dépendance et à l’incompréhension du monde qui les entoure, leur intégrité physique et mentale est sérieusement compromise ainsi que l’estime de soi. Leur protection n’est pas assurée.
L’apprentissage de la langue du pays d’accueil est aussi un enjeu essentiel pour le « vivre ensemble », principe dont la valeur constitutionnelle a été reconnue par le Conseil constitutionnel. L’incapacité de tisser des liens interpersonnels à cause de la langue nourrit l’exclusion sociale et la xénophobie qui affectent gravement toute la société.
Enfin, la formation linguistique des demandeurs d’asile est un investissement utile économiquement, comme le souligne l’OCDE dans son rapport de janvier 2016, Réussir l’intégration des réfugiés. Le Secrétaire général de l’OCDE, M. Angel Gurría, a déclaré : « Les réfugiés sont porteurs d’espoir : espoir d’une vie meilleure et d’un avenir meilleur pour leurs enfants et pour les nôtres. Cela étant, pour que cela puisse advenir, un investissement substantiel est indispensable pour leur apporter un soutien immédiat et aider les réfugiés à s’installer et à adapter et valoriser leurs compétences. C’est une tâche certes difficile et coûteuse à court terme, mais qui sera très fructueuse pour tous à moyen et long terme. » La formation linguistique fait partie de cet investissement, même dans le cas où la demande de protection est rejetée. En effet, cet investissement permet de favoriser l’autonomie des demandeurs d’asile pour qu’ils puissent continuer à être acteurs de leur vie et non pas maintenus dans une dépendance coûteuse dans tous les sens du terme. Il leur permet aussi de se reconstruire, se préparer et renforcer leurs compétences dans le cas où ils devraient retourner dans leur pays.
Or, actuellement, l’État ne propose des formations linguistiques, souvent d’un niveau insuffisant pour s’intégrer, qu’après l’obtention de la protection, soit en général après deux ou trois ans de séjour en France.
Réformer la politique linguistique envers les réfugiés est devenu une urgence. C’est pourquoi nous appelons à inclure la formation linguistique comme une condition minimale d’accueil des demandeurs d’asile et à penser une offre véritablement adaptée à ceux qui demandent une protection dans notre pays. Associations, universités, grandes écoles, institutions de formation professionnelle, bibliothèques et société civile, nous sommes engagés pour prendre part à ces formations. Nous vous demandons votre soutien.
Associations et institutions signataires :
Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture, ACAT France
Accueil et Insertion des Migrant.e.s et des Exilé.e.s, AIME
Alwane
Association d’Accueil aux médecins et Personnels de Santé Réfugiés en France, APSR
Association pour la Reconnaissance des Droits des personnes Homosexuelles et transsexuelles à
l’Immigration et au Séjour, ARDHIS
Bibliothèque Sans Frontières, BSF
Centre de Recherche et d’Action Sociale, CERAS
CASP- Service réfugiés du pôle asile
Centre Primo Levi
CIMADE
Collectif pour l’égalité des droits
Collectif Toulouse Syrie Solidarité
Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement, CCFD-Terre Solidaire
ÉCOLE Supérieure du Professorat et de l’Education, ESPE Aquitaine
L’Esprit libre – Fraternité sans frontières
Fédération de l’Entraide Protestante
Fédération des acteurs de la solidarité, FNARS France Terre d’Asile, FTDA
Les Graines de l’espoir
Groupe Accueil et Solidarité, GAS
Institut National des Langues et Civilisations Orientales, INALCO
Kiron France
Ligue des Droits de l’Homme, LDH
Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples, MRAP
Pastorale des migrants
Réseau Etudes Supérieures et Orientation des Migrant(es) et Exilé(es), RESOME
Revivre association
Secours Catholique – Caritas France
Service Jésuite des Réfugiés France, JRS France
Singa
Souria Houria
Syrie MDL (Moderne Démocratique, Laïque)
Syrie Démocratie 33
Techfugees
Thot
Université Bordeaux Montaigne
Université Paris I Panthéon Sorbonne
Wintegreat
Women now for development
Autres signataires :
Véronique ALBANEL, maître de conférences, Sciences Po Paris
Bassma KODMANI, maitre de conférence Paris I Panthéon Sorbonne, directrice de The Arab Reform Initiative
Philippe BECK, poète, maître de conférences en philosophie, Université de Nantes
Marie BEURTON-AIMAR, maitre de conférences, Université de Bordeaux
Marc BONNEU, professeur, Bordeaux INP
Claude CALAME, directeur d’études à l’EHESS, Paris
Camilla CEDERNA, maître de conférences, Centre d’études en civilisations, langues et lettres étrangères, Université Lille 3.
Marie CUILLERAI, Professeur, Laboratoire de Changement Social et Politique, Université Paris 7 Diderot
Frédérik DETUE, maître de conférences, Université de Poitiers
Monique GEOFFROY-L’AMOUR, enseignante, collège Paul-Bert
Jérôme GIDOIN, anthropologue, chercheur associé CNRS-EPHE
Paul Henri GIRAUD, professeur, Université de Lille
Catherine GRALL, maître de conférences en littérature comparée, Université d’Amiens
Raphaëlle GUIDÉE, maître de conférences, l’Université de Poitiers
Michelle GUILLEMONT, professeur des universités, Université de Lille
Françoise HARAMBOURE, professeur didactique des langues étrangères, Université Paris Est Créteil
Joël HUBRECHT, Association “Syrie-Europe, Après Alep”
Smaïn LAACHER, Professeur de sociologie, Université de Strasbourg
Françoise LAGARDE, professeur certifié documentation, IUT Michel de Montaigne
Michel Lalane, Réseau Education Sans Frontières
Christine LARRAZET, maître de Conférences, Université de Bordeaux
Annick LOUIS, maître de conférences, Université de Reims
Héloïse PIERRE-EMMANUEL, artiste
Ziad MAJED, politiste, professeur, Université américaine de Paris
Marie MARTIN, maître de conférence, Université de Poitiers
Annie NAJIM, ancienne titulaire de la chair UNESCO, université Bordeaux 3
Boris NAJMAN, maître de conférences, Université Paris Est Créteil
Antoine Paumard, directeur, JRS France
Julia Peslier, maitre de conférences Université de Bourgogne/Franche-Comté
Anne ROBIN, maître de Conférences, Université de Lille 3
Pénélope RIBOUD, maître de conférence, coordinatrice du programme Inalc’ER pour l’accueil des étudiants réfugiés, INALCO
Isabelle RIGONI, maître de conférences, Université Bordeaux3
Rayya ROUMANOS, maître de conférences, Université Bordeaux Montaigne
Mélanie Traversier, maître de conférences, Université de Lille
Marie-Caroline SAGLIO-YATZIMIRSKY, professeur en anthropologie, INALCO
Caroline Zekri, maître de conférences, Université Paris-Est Créteil