(Trajectoire de patient)
M. R. est syrien, et militant de l’opposition, emprisonné à trois reprises et torturé à chaque fois. Pour des raisons mêlant politique et rivalité familiale (un de ses cousins est proche du pouvoir d’Hafez Al Assad), il comprend qu’il est maintenant devenu gênant et se retrouve devant un « choix » que connaissent beaucoup de nos patients : mourir ou partir. Il part sur la route de l’exil, laissant sa femme et ses deux enfants. « Du jour au lendemain, dès que je suis sorti de la prison, j’ai dû fuir, j’ai pris le premier bus, je suis parti vers le Nord, la Turquie » explique –t-il. Il reste quelques jours à Istanbul puis rejoint la côte vers Izmir, d’où il prend un « canot » pour rejoindre Lesbos, en Grèce. La traversée se passe mal, il échappe à la noyade, ce qui ne sera pas le cas de plusieurs de ses compagnons. Arrivé tant bien que mal à Lesbos, il évite la police grecque et poursuit son périple à pied, en bus, remontant par la Bulgarie, la Serbie, la Slovénie et l’Italie, pour enfin atteindre la France. Son état psychologique est fortement dégradé, les symptôme sont importants, les réminiscences, les cauchemars, les images se reproduisent : « Depuis les tortures, je n’ai jamais fait une nuit complète. C’est comme si je me trouvais dans un film que j’étais en train de revoir, encore et encore. Les gens ne savent pas ce qui se passe en prison, en Syrie, la torture là-bas. Je me sens harcelé par les images de la prison dans mon esprit ». Des images de violence accentuées par son parcours d’exil, « j’ai vu des choses terribles qui
viennent dans mes rêves ». Ce patient, dont l’état était préoccupant, construit rapidement un lien de confiance avec l’équipe du Centre. « Il m’a donné la force de revenir sur mon passé, de parler de choses dont je n’avais jamais parlé. J’ai un lien de confiance très fort avec le Centre Primo Levi, avec toute l’équipe ».
Ma vie est encore là-bas, en Syrie.
Son passé revient souvent dans ses mots : « Ma vie est encore là-bas, en Syrie. Je ne voulais pas la quitter et venir ici. En France. C’est pour protéger mes enfants que je suis parti. Je ne voulais surtout pas qu’on fasse subir à ma femme, à mes enfants, ce que j’ai pu voir en prison. » Lors de son arrivée, il est entendu par un agent de l’OFPRA qui recueille sa demande d’asile, demande qui sera rejetée, son discours n’est pas jugé crédible. Comme pour nos autres patients, dire l’indicible n’est pas compatible avec la demande de détails, de preuves, de traces de la violence subie exigés pour la procédure. Un travail de fond important est repris par notre juriste pour préparer le réexamen de sa demande ; « venir au Centre m’a donné de la force, ça me fait du bien de parler pendant les rendez vous, d’être écouté. Il n’y a pas de racisme ici » décrit M. R. Entre temps, son statut juridique est précaire, il est en situation irrégulière après avoir bénéficié d’un titre de séjour pour soins pendant un an ; pourtant il est inséré, travaille, et se sent quand même à l’abri en France. « Je sais que je suis protégé, mais est-ce que mon esprit est protégé ? » Contre les images, contre ses pensées. « Au Centre, quand j’arrive dans la salle d’attente, ça va tout de suite mieux. Le fait qu’on m’appelle par mon prénom est très important ». Mais l’exil pèse : « Je ne souhaite à personne d’être exilé, même à mon pire ennemi. C’est une injustice que nous, les Syriens, ne puissions pas vivre dans notre pays. Le Centre Primo Levi est le seul endroit où on m’a compris. Je ne serai pas là aujourd’hui sans les personnes qui m’ont accompagné ».
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