Au final, du 15 au 27 août 2021, près de 3 000 personnes, dont 2 600 Afghans, ont été évacuées par l’armée française. Parmi les ressortissants afghans qui ont réussi à quitter leur pays, près d’un tiers sont des mineurs. Certains ont été séparés de leurs parents et sont arrivés seuls sur le territoire français. Si les opérations d’évacuation vers la France ont officiellement pris fin, selon les autorités françaises, des alternatives sont à l’étude au niveau européen pour mettre en sécurité les personnes menacées.
Les enjeux au regard de l’asile
La prise en charge des Afghans qui ont été évacués vers la France soulève de nombreuses questions. Entre cauchemars des dernières heures vécues au milieu de scènes de guerre et rêves d’une mise à l’abri à l’étranger, ces personnes ont vécu l’impensable. L’accès à une protection internationale, ainsi qu’à des soins adaptés au niveau médical et psychique est un enjeu majeur pour leur permettre de dépasser l’effroi des dernières heures vécues au pays et envisager progressivement l’horizon d’une vie en exil.
Les années de guerre et d’instabilité politique qui ont marqué l’Afghanistan depuis l’invasion soviétique de 1979 ont contribué au départ de nombreuses personnes fuyant la violence et les atrocités commises par les différents groupes armés. Si les pays voisins sont lourdement impactés par l’accueil de plus de 1,4 million d’Afghans au Pakistan et 780 000 en Iran (selon les chiffres du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés), la France est également concernée, dans une moindre mesure. Selon les rapports annuels de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), l’Afghanistan était le premier pays de provenance des demandeurs d’asile en 2019 et 2020 avec plus de 10 000 demandes déposées chaque année, soit plus de 11% du total des demandes d’asile déposées en France.
Quels effets d’une violence diffuse ?
Au Centre Primo Levi, l’Afghanistan est présent depuis longtemps. Une trentaine de personnes afghanes sont accueillies chaque année, parmi lesquelles des femmes, des hommes et des enfants. En 2020, l’Afghanistan était le cinquième pays de provenance des patients accueillis avec 26 personnes effectivement prises en charge en 2020. Parmi celles-ci, on décomptait principalement des hommes majeurs, ainsi qu’une dizaine de mineurs (en famille ou non accompagnés). Enfin, la moitié étaient demandeurs d’asile ou réfugiés statutaires. Les autres avaient été déboutés, « dublinés » ou encore étaient des mineurs isolés.
Pour les patients du Centre Primo Levi, les récents événements ont ravivé des angoisses de séparation, ainsi qu’une peur de la disparition. Loin des leurs restés au pays, ils se sentent démunis et envahis par la détresse. Plusieurs patients de nationalité afghane bénéficiaires de la protection internationale sont en outre accompagnés depuis des années dans des processus de réunification familiale. Ces démarches ont été rendues particulièrement difficiles depuis 2020 en raison de la fermeture pour raisons de sécurité des services consulaires de l’Ambassade de France à Kaboul puis à Islamabad et du gel des visas dans le contexte de crise sanitaire, la réunification familiale n’étant pas considérée comme un motif impérieux de déplacement par les autorités françaises jusqu’à une décision du Conseil d’Etat de mars 2021.
A ces difficultés, s’ajoute désormais le contexte politique dégradé lié au retrait des forces militaires internationales et à la prise de Kaboul par les talibans. Le Centre Primo Levi a pu accompagner ces dernières semaines plusieurs familles à sortir du territoire afghan et témoigner de retrouvailles inespérées. Cependant, de nombreuses démarches engagées demeurent incertaines et requièrent une mobilisation forte au niveau pluridisciplinaire. Parmi nos patients afghans, un grand nombre sont très inquiet pour leurs proches restés au pays car parfois sans nouvelles depuis des années. Si le travail clinique engagé avait pu apaiser des souffrances, ce type d’événement tend à raviver les angoisses.
Accueillir et soutenir dans la durée
Au niveau national, l’arrivée de centaines de ressortissants afghans dans le dispositif d’accueil des demandeurs d’asile va probablement générer un surcroit de demandes de prise en charge pour des personnes adultes et mineures très fortement éprouvées au niveau psychique. Dans ce contexte, il est important de contribuer au renforcement des dispositifs d’accompagnement par le soutien auprès des professionnels et la mise en place de propositions d’étayage adaptées aux réalités des équipes qui seront confrontées dans la durée aux répercussions de ce bouleversement géopolitique.
Que ce soit par l’accueil des exilés afghans ou le soutien aux professionnels qui les accompagnent, le Centre Primo Levi entend pleinement contribuer à la prise en charge des effets d’une violence diffuse qui déchire l’Afghanistan depuis plus de 40 ans.