Le 25 novembre 2022, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, a été le point de départ d’une forte mobilisation du Centre Primo Levi en termes de plaidoyer, à travers la publication du rapport intitulé Femmes exilées, une violence continue. Notre but était de mettre en avant la situation de ces femmes et de peser pour leur reconnaissance lors des discussions au niveau parlementaire, alors que le gouvernement présentait au même moment son projet de loi « Pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ».
Pourquoi cette thématique ? Le point de départ de ce rapport est le constat que l’exil féminin, longtemps relégué au second plan, a rejoint celui des hommes. Les femmes représentent maintenant la moitié des personnes déplacées dans le monde. Cette proportion n’est pas nouvelle et se confirme depuis une dizaine d’années, elle se retrouve aussi dans la file active du Centre Primo Levi. Le profil des femmes qui s’exilent est très divers, autant que les raisons qui les poussent à quitter leur pays.
Le rapport met en avant le continuum de violences dans lequel les femmes rentrent et ne sortent plus. Torturées, emprisonnées, violées dans leur pays, elles entrent ensuite dans autre circuit de violence, cette fois sous le contrôle des passeurs et des membres de la police ou de l’armée des pays qu’elles traversent. Une fois en Europe, la brutalité continue. Bosnie, Croatie, Italie, Grèce, Roumanie ou Bulgarie : les cas de répression policière ou de non-assistance envers les personnes exilées sont largement documentés. Arrivées en France, le cauchemar diminue, mais la violence non palpable, sociale, économique, psychologique se poursuit. Il était important, dans notre rapport, de souligner que ces violences ne sont pas le fruit du hasard, de la mauvaise rencontre. Elles sont politiques, institutionnalisées, car elles sont le résultat de l’inaction, de la complicité ou de l’action délibérée des États, depuis le pays d’origine jusqu’à l’arrivée en Europe.
Il était surtout essentiel de mettre en avant la clinique du Centre Primo Levi dans l’accueil des femmes exilées, où la quasi-totalité d’entre elles ont subi des violences sexuelles, soit dans leur pays d’origine, soit sur le chemin de l’exil. Une effraction du corps qui produit des effets similaires quel que soit le genre de la personne. La sphère la plus intime est touchée, atteignant le plus profond de ce qui permet d’être en tant que personne. Les victimes demeurent dans le silence, ne pouvant dire mot sur ce qui leur est arrivé. Elles se disent dépossédées de leur corps. Lorsqu’elles en parlent, elles se sentent « dégoûtées », « abîmées », « gâchées », sous-entendant une idée d’irrémédiable dans la perception qu’elles ont d’elles-mêmes. L’espace thérapeutique leur offre alors un lieu sécurisé. Elles sont crues d’emblée dans ce qu’elles disent.
L’arrivée en France offre-t-elle alors un répit dans la douleur de ces femmes ? Notre rapport met, au contraire, en lumière leur basculement dans la précarité. Il n’est pas rare que les femmes exilées commencent par vivre dans la rue. Les situations que nos assistantes sociales rencontrent sont de plus en plus des situations d’urgence. Les places d’hébergement manquent ou sont très aléatoires, même si leur nombre a augmenté. Cette précarité des conditions d’accueil vient faire obstacle à la reconstruction de ces femmes et les confronte, notamment, à l’absence de choix. Alors qu’elles n’ont pas pu dire non aux violences sexuelles, au mariage forcé, à l’excision, à la traite, elles se retrouvent à nouveau ici exposées à la contrainte, notamment matérielle.
La violence continue enfin dans la demande d’asile. Avec des bagages lestés par le trauma, la personne exilée est souvent incapable de s’exprimer et de dérouler un discours logique et convaincant, attendu notamment de la part des militantes politiques. Surtout, le récit est limité aux faits survenus dans le pays d’origine. C’est l’angle mort de la procédure d’asile actuelle : la violence subie sur le parcours migratoire. Celle-ci est abordée lors de la demande d’asile, ainsi que le trauma qui en résulte, mais elle ne pèsera pas dans la décision d’octroi d’un statut protecteur. Ou à la seule condition que les violences subies en chemin fassent courir un risque à la personne si elle retourne dans son pays d’origine.
6 mois ont été nécessaires pour élaborer le rapport, qui a été nourri par des entretiens avec de nombreuses et nombreux chercheuses, chercheurs, responsables et acteurs associatifs, en lien avec la thématique des femmes exilées, ainsi qu’avec l’ensemble de l’équipe du Centre Primo Levi (responsable et chargées d’accueil, psychologues, médecins, assistantes sociales, juriste, kinésithérapeute). Envoyé aux médias le 25 novembre, le rapport a eu un fort impact médiatique avec la publication d’une tribune dans le journal Le Monde, puis d’une dépêche AFP. Au total, une vingtaine de médias nationaux et régionaux a mentionné la sortie du rapport. La visibilité médiatique avait pour but d’appuyer l’envoi du rapport à l’ensemble des parlementaires français (Sénat et Assemblée nationale) accompagné d’une demande de rendez-vous en amont des discussions autour du projet de loi au Sénat.