Plus de 1 750 migrants ont péri en Méditerranée depuis le début de l’année, soit 30 fois plus que durant la même période de 2014, a indiqué mardi l’Organisation internationale des migrations (OIM). Depuis les deux derniers naufrages, qui ont été les plus meurtriers de l’histoire récente de la Méditerranée, les déclarations de compassion et d’appel à l’action pour mettre fin à cette série de drames n’ont cessé de pleuvoir.
Ces déclarations émanaient entre autres des autorités françaises, qui n’ont pas paru y voir d’incohérence avec leur politique de l’asile de plus en plus restrictive. Le projet de réforme de l’asile, entamé par Manuel Valls en 2013 et censé être examiné au Sénat dans les prochaines semaines, reflète parfaitement cette hypocrisie : sous couvert de « redonner tout son sens » au droit d’asile, ce projet masque mal en réalité une politique du chiffre inavouée et des préoccupations de gestion des flux.
Pour l’illustrer, on pourrait citer l’objectif de renvoi systématique des déboutés du droit d’asile, sans prise en compte des risques qu’ils encourraient à retourner dans des pays souvent encore en crise. Ou encore les nouvelles possibilités de placement de demandeurs d’asile en zone d’attente et de rejet de leur demande (« sans vérifier si les conditions d’octroi de l’asile sont réunies », la demande pourra être déclarée irrecevable).
« Quel est ce double langage des autorités françaises qui, d’un côté, déplorent la mort de milliers de personnes ayant tenté de fuir la persécution et la guerre, et qui de l’autre préparent le renforcement de leurs frontières et le durcissement de leur politique d’asile ? », s’indigne Eléonore Morel, directrice générale du Centre Primo Levi. D’après le quasi consensus politique sur l’idée d’un système de l’asile qui aurait été « dévoyé », redonner son sens au droit d’asile signifie lutter contre les « fraudeurs » et les « faux » demandeurs d’asile. Mais, fait-elle remarquer, « pour qu’ils aient quitté tout ce qu’ils avaient (métier, foyer, communauté, parfois même femme et enfants) et pour qu’ils se soient engagés dans un parcours d’exil dont ils connaissaient les dangers, n’est-ce pas évident que ces 800 hommes, femmes et enfants fuyaient des régions et des situations où leur vie était déjà menacée ? » Depuis vingt ans, le Centre Primo Levi a accueilli et soigné près de 3000 personnes victimes de la violence politique réfugiées en France. Beaucoup d’entre eux sont arrivés par ces rafiots de la mort.
L’hypocrisie des plans d’action qui ont déjà été lancés dépasse celle des déclarations individuelles. Lundi, la Commission européenne a lancé dix propositions « pour lutter contre le trafic de migrants et empêcher les candidats à l’immigration de risquer leur vie en traversant la Méditerranée ». Ce plan, qui a été « pleinement soutenu » par les ministres des affaires étrangères et de l’intérieur de l’Union européenne (UE) réunis à Luxembourg, n’est ni plus ni moins, lui aussi, un plan de renforcement de la forteresse Europe, avec une priorité mise sur la lutte contre les filières de trafiquants et sur le renvoi des migrants non autorisés à rester dans l’UE.
Cette politique est d’autant plus hypocrite qu’elle est inefficace. « Les frontières n’ont jamais été aussi fermées, et pourtant il n’y a jamais eu autant de migrants », a fait remarquer François Gemenne, politologue au Centre d’études et de recherches internationales. Ses travaux l’ont amené à conclure que « l’ouverture ou la fermeture des frontières ne crée ni n’empêche les flux. L’interdiction n’empêche rien, mais accroît la prise de risque. » Partant de ce principe, certains eurodéputés socialistes ont publié ce matin dans le Huffington Post des propositions visant au contraire à renforcer les voies légales permettant aux personnes fuyant des conflits d’exercer leur droit à la protection internationale.
N’oublions pas, en effet, qu’ils ont ce droit et que nous, pays de l’UE, avons le devoir au titre de la Convention de Genève de 1951 d’accueillir ces migrants de manière digne.
[1] Zone gérée par l’administration et située dans un aéroport, un port ou une gare internationale, où les migrants peuvent être retenus jusqu’à huit jours, le temps de déterminer si sa demande d’asile n’est pas « manifestement infondée ».
[2] « Fermer les frontières n’arrête pas un migrant prêt à risquer sa vie », article du Monde.fr du 20/04/2015.