Helena d’Elia, au centre du Centre

Article issu du rapport annuel 2021.

Il y a 25 ans, Helena d’Elia poussait la porte du – alors naissant – Centre Primo Levi. « Quand je suis arrivée, le Centre avait deux ans d’existence », dit-elle, tout ou presque était à faire dans le premier espace en France à se consacrer à l’accompagnement des personnes exilées victimes de torture ou de violence politique.

Comme toutes et tous dans l’équipe du Centre, elle n’est pas là par hasard. Son parcours personnel y est pour beaucoup. Brésilienne de naissance, elle suit des études de psychologie sous la dictature (qui marquera la période 1964-1985), avec une forte inclination pour les questions politico-sociales. Elle participe à de nombreuses actions, organise des groupes de travail dans les favelas. La spécificité du jeune Centre Primo Levi est pour elle à la fois très stimulante et porteuse d’une certaine appréhension, même si elle a déjà eu une expérience assez proche dans le Centre Minskowksa, une structure médico-psychologique qui suit des migrants et réfugiés : « Toutes les personnes que nous accompagnons au Centre Primo Levi ont vécu la violence, je me demandais à quoi allait ressembler la clinique, à quoi allait ressembler le fait de soigner des personnes victimes de torture. »

« Nous avons besoin de faire un pas de côté, de réfléchir ensemble »

Mais, comme tout est à inventer, elle choisit de s’investir complètement dans le projet du Centre, qui n’est pas encore entièrement défini. « Dès cette époque, commente-t-elle, nous commencions à réfléchir à la finalité du Centre. J’ai donc écrit sur ce qui, pour moi, était important dans la clinique, alors sans beaucoup de repères, à savoir la mise en place d’espaces de recul. » Des espaces justement faits pour penser cette clinique et formaliser le savoir-faire du Centre Primo Levi. De là viendra sa vocation de transmission et de formation en direction des équipes de médecins, bénévoles, juristes, travailleurs sociaux, dans toute la France. Les sollicitations arrivent de manière importante, un travail est notamment mené avec Médecins du Monde, des interventions ont lieu en Algérie ou en Tchétchénie, un centre de soins est créé à la Rochelle avec l’accompagnement du Centre Primo Levi. La dynamique de transmission de l’expérience est en route, et conduite par Helena. La formation se structure de plus en plus, et le centre de formation voit le jour en 2002. « Notre Centre accueille la violence, ce qui bouleverse totalement nos repères. Nous avons besoin de faire un pas de côté, de réfléchir ensemble, car cette violence attaque la pensée. Nous encourageons les gens que nous formons à le faire aussi, pour que leurs conditions de travail restent bonnes. » De ce pas de côté a émergé, en 2003, l’idée d’organiser un colloque, et de créer un espace de réflexion en lien avec l’accompagnement des personnes exilées victimes de la torture et de la violence politique. Tous les deux ans se rencontrent ainsi l’équipe pluridisciplinaire du Centre Primo Levi, des intervenants et intervenantes extérieures (psychiatres, psychanalystes, juristes, sociologues, anthropologues, artistes…), invités à partager leurs savoirs et leurs expériences. Huit colloques ont ainsi été mis en place depuis 19 ans. Comme c’est le cas pendant ces temps de partage, ce sont les praticiens du Centre Primo Levi qui alimentent le travail de transmission : « Cela est venu petit à petit, puis est devenu une condition pour travailler ici, cette participation m’a semblé fondamentale. Les membres de l’équipe clinique, dans toutes les disciplines, ont commencé à s’impliquer dans la formation. Cela ne se fait pas de manière immédiate. Nous donnons le temps aux personnes qui rejoignent l’équipe de s’impliquer dans la transmission du savoir-faire, chacune de sa place a quelque chose à dire. Cette volonté de transmettre m’a fait penser à la façon de préparer mon départ ». Helena a procédé en deux temps : « D’abord j’ai évoqué mon travail avec mes collègues, puis j’ai prévenu les patients eux-mêmes. J’étais très attentive à ce que les premiers aient envie de continuer à suivre mes patients, ce qui a fonctionné. »

« Pourquoi ne restez-vous pas un an de plus ? », lui a demandé un patient. Après 25 ans de pratique, les souvenirs sont forcément très nombreux et certains très marquants, comme cette femme, ancienne enfant-soldat qu’Helena a suivie pendant 10 ans. « Elle m’a beaucoup appris, elle était une force, elle avait une grande capacité à saisir les choses, nous avons pu conclure un travail très riche. » Signe de sa grande implication dans sa pratique et dans le Centre, quelques jours avant son départ, une patiente confie à Helena : « Vous m’avez redonné ma vie, j’étais par terre, vous m’avez mise à genoux, puis assise, et maintenant je suis debout. »