Paris, le 27 mai 2015
Monsieur le Ministre,
Les associations de solidarité et de défense des Droits de l’Homme sont indignées devant certaines dispositions du texte de loi portant réforme du droit d’asile en France telles qu’elles ressortent du débat au Sénat et entendent vous alerter sur les conséquences graves qu’elles emporteraient sur notre modèle d’assistance et de solidarité nationale si elles étaient confirmées dans le texte final. Plusieurs mesures nouvelles par rapport au texte adopté par l’Assemblée Nationale remettent en effet profondément en cause nos valeurs républicaines, notamment la reconnaissance de l’égalité entre tous les individus.
Nous déplorons les reculs historiques que les discussions au Sénat de cette semaine font subir aux droits fondamentaux, et tout particulièrement au respect des conditions d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile. Nous regrettons que ces débats aient une nouvelle fois entretenu la confusion entre le devoir de protection incombant à la France au regard de ses obligations internationales à l’égard des réfugiés et une politique de régulation accrue des flux migratoires, amalgame incompatible avec les enjeux de la demande d’asile.
Pour la première fois, ce texte remet en cause l’accueil inconditionnel, principe fondateur de l’action sociale à l’égard des personnes en situation de précarité qui prévoit que « toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence ». Or, le projet de loi exclut désormais de l’hébergement les déboutés du droit d’asile et leurs enfants. Il fait donc primer le statut administratif des personnes sur leur situation réelle pour leur refuser l’accès au droit fondamental que constitue l’hébergement d’urgence. Les associations refuseront de faire le tri entre les « bons et les mauvais pauvres » en fonction de leur situation administrative.
Être à la rue caractérise une situation de détresse en soi qui doit obliger la collectivité publique à proposer une solution d’hébergement digne à ceux qui en ont besoin. Ce principe n’a jamais été remis en question à ce jour et doit impérativement être maintenu au risque d’accroître le nombre de familles très vulnérables vivant à la rue, dans des squats ou des bidonvilles. Les exclure de l’hébergement revient aussi à entraver leur accès aux soins, avec les conséquences sanitaires que l’on peut imaginer. Rappelons que les étrangers sans papiers ne sont pas sans droits, ce que reconnaissent la loi française et les conventions internationales. Ils ne peuvent être déchus ni de leurs droits fondamentaux, ni de leur dignité.
En dépit des multiples mises en garde des associations, le projet de loi issu du Sénat instaure de plus des centres dédiés pour les personnes déboutées du droit d’asile, au sein desquels elles se verraient proposer une aide au retour. L’accès aux droits fondamentaux comme le respect de la dignité des étrangers sans papiers sont des aspects de la solidarité qui ne peuvent être aussi aisément gommés ou entravés. Les associations doivent pouvoir répondre à leur demande qui est avant tout sociale. Il ne peut s’agir d’une simple proposition de retour dans leur pays d’origine. De plus, nous nous inquiétons fortement du rôle qu’il serait demandé aux travailleurs sociaux de jouer dans le cadre de ces centres dédiés. A aucun moment ils ne sauraient participer aux missions de contrôle et d’éloignement relevant du Ministère de l’Intérieur.
Nous, associations, qui accueillons au quotidien des personnes démunies, à la rue, en situation d’extrême vulnérabilité et de précarité, vous demandons Monsieur le Ministre, d’intervenir pour supprimer ces dispositions contraires à nos missions de solidarité, qui entretiennent la suspicion et la stigmatisation à l’égard des étrangers et vont à l’encontre de la cohésion nationale.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, en l’expression de notre considération.
Pour les Associations signataires
Louis Gallois, Président de la Fnars
Liste des Signataires :
• Yves BALLARD, Président de Dom’Asile
• Thierry BRIGAUD, Président de Médecins du Monde
• Philippe COLOMB, Président de l’Ardhis
• Michel CROC, Président de JRS France
• Françoise DUMONT, Présidente de la Ligue des droits de l’Homme
• Raymond ETIENNE, Président de la Fondation Abbé Pierre
• Didier FASSIN, Président du COMEDE
• Véronique FAYET, Présidente du secours catholique Caritas France
• Louis GALLOIS, Président de la FNARS
• Geneviève JACQUES, Présidente de la CIMADE
• Marysia KHALESSI, Présidente de Français Langue d’Accueil
• Thierry KHUN, Président d’Emmaus France
• Patrick LAPORTE, Président de COALLIA
• Gabriel NISSIM, Président de l’ACAT
• Eric Pliez Président du Samu Social de Paris
• Jacques RIBS, Président de France terre d’asile & Pierre HENRY, Directeur Général de France terre d’asile
• Antoine RICARD, Président du Centre Primo Levi
• Régis VANDERHAGHEN, Président de Groupe Accueil et Solidarité