La violence politique touche les femmes autant que les hommes, et elles sont de plus en plus nombreuses à fuir leur pays et à venir demander l’asile en France. Parmi les patients du Centre Primo Levi, leur proportion continue à croître : elles représentaient près de la moitié des patients en 2015, contre seulement 30% en 2004. Par ailleurs, le nombre de femmes enceintes ou accompagnées de bébés ou enfants de moins de deux ans est en nette augmentation depuis 2 ans.
Ces femmes suivies au Centre ont toutes un parcours marqué par la violence. Elles sont particulièrement fragilisées et en grande souffrance. Le vécu traumatique, combiné à l’expérience de la maternité et aux angoisses provoquées par la précarité et l’isolement, produit des effets complexes chez ces femmes et a des répercussions directes sur le lien mère-enfant.
Face à ces problématiques spécifiques, les professionnels du système de santé publique sont souvent déstabilisés, perplexes et ont besoin d’échanger avec d’autres sur les questionnements suscités par ces suivis, et/ou de bénéficier de l’expérience d’autres professionnels. N’étant ni formés, ni encadrés dans leur pratique, ni habitués à ce type de situations aux problématiques multiples et combinées, il leur est difficile de proposer un suivi adapté.
A partir de ces constats, le Centre Primo Levi s’est fixé deux objectifs essentiels :
– proposer une prise en charge pluridisciplinaire (psychologique, médicale, juridique et sociale) à ces femmes enceintes et ces jeunes mamans, par le biais de consultations individuelles, selon un rythme adapté aux besoins de chaque patiente.
– sensibiliser et former les professionnels amenés à être confrontés à ces problématiques, que ce soit dans le cadre de ces suivis ou pas.
Grâce à cette double action, au Centre Primo Levi mais aussi à l’extérieur, ces futures ou jeunes mères peuvent commencer à se reconstruire et à développer un lien mère-enfant équilibré malgré la perte de repères, la rupture sociale et les traumatismes dont elles continuent à souffrir.
Quelle prise en charge est offerte à ces patientes enceintes ou mères de très jeunes enfants ?
Le suivi psychothérapeutique est particulièrement important pendant et après la grossesse. Selon les violences subies, les patientes enceintes peuvent avoir des difficultés à supporter leur grossesse, ou développer des angoisses de malformation du bébé ou de fausse-couche tardive très fortes, pouvant générer des états d’anxiété très paralysants.
Après la naissance, un suivi particulier est mis en place et implique une double attention : l’atteinte psychique maternelle et ses effets sur le lien avec son enfant. Les psychologues reçoivent la mère et le bébé ensemble, lors des consultations, afin d‘observer les interactions entre les deux et de dépister d’éventuels troubles interactifs. Il faut repérer les peurs et les angoisses dans la proximité avec l’enfant : la façon dont la femme le tient, le regarde, le nourrit. Pour la mère, il est question de l’accompagner et d’interroger la place qu’elle propose à son enfant. En ce qui concerne l’enfant, il s’agit de savoir comment il se débrouille avec cette place et avec quels repères.
L’accompagnement médical ne consiste pas à suivre les grossesses des patientes, mais à les accompagner vers un suivi médical et gynécologique adapté. Les généralistes du Centre Primo Levi les orientent vers les interlocuteurs adaptés selon leur situation : centres de PMI (Protection Maternelle et Infantile) où travaillent des sages-femmes habilitées à suivre médicalement les grossesses jusqu’au 6ème mois, services des maternités, etc. Les contacts avec ces structures (téléphone, courrier, accompagnement) sont plus soutenus pour les patientes non francophones. Il est ainsi indispensable de créer des alliances durables avec les structures intervenant auprès de ces femmes et susceptibles de les accueillir dans les meilleures conditions d’écoute et d’adapter leurs pratiques à leurs difficultés particulières : comment, par exemple, adapter l’examen gynécologique classique pour une femme qui a été victime de violences sexuelles ?
L’accompagnement social s’articule avec le soin. Les assistants sociaux du Centre Primo Levi sont amenés à intervenir plus particulièrement pour orienter ces femmes vers des structures d’hébergement en fonction de leur situation (unités d’hospitalisation mère-enfant, associations, hôtels, crèches, etc.), mais aussi pour trouver des aides alimentaires correspondant à leurs besoins (en hôtel, il est impossible de faire la cuisine : il faut donc les orienter vers des structures fournissant des repas préparés adaptés à leurs besoins ainsi qu’à ceux de leur bébé).
Pour certaines de ces femmes, psychologue et assistant social travaillent conjointement pour mener un travail de repérage et de contact avec des lieux / espaces de socialisation pour la mère et pour l’enfant (accueils de jour, maisons vertes, haltes garderies, crèches associatives…) afin de soutenir le travail autour de la place donnée à l’enfant.
Le recours à des interprètes est également un pilier de cette prise en charge sur mesure. Les interprètes assistent les patientes non francophones lors des consultations, afin de construire un cadre de communication optimal et un climat de confiance, mais aussi lors d’échanges auprès des structures partenaires. Ces interprètes sont nécessairement professionnels, car comment imaginer qu’une mère puisse parler des violences qu’elle a subies si l’interprète est son fils ou sa fille, comme c’est souvent le cas à l’hôpital ?