Edito
Dans un contexte d’augmentation de la demande d’asile en France (+22% en 2018) et de durcissement progressif des politiques d’accueil, le Centre Primo Levi a été plus que jamais sollicité et actif dans le soutien et la défense des personnes victimes de la torture et de la violence politique exilées sur notre sol.
Avec 380 patients suivis et près de 7 000 consultations dispensées au cours de l’année, il reste l’un des acteurs majeurs du soin auprès de ces personnes en très grande souffrance psychique et physique. Nous avons vu arriver des patients plus
jeunes, présents en France depuis moins de temps que ceux que nous avions l’habitude de recevoir (la moitié des nouveaux patients adultes ont entre 25 et n34 ans et sont en France depuis moins d’un an), une proportion sans précédent de mineurs (39%) et en particulier de mineurs non accompagnés (6%). Fait plus
inquiétant encore, un quart d’entre eux étaient déboutés du droit d’asile, ce qui vient confirmer notre inquiétude quant aux procédures de plus en plus expéditives et tournées vers le rejet, y compris de personnes qui ont fui la persécution et qui restent menacées. Les réformes du droit d’asile et des étrangers de juillet 2015 et septembre 2018 ont eu un impact sensible sur les conditions d’accueil et d’obtention d’une protection de nos patients : réduction des délais pour déposer une demande d’asile et faire appel à l’aide juridictionnelle, multiplication des procédures accélérées, suspension du droit au séjour en cas de refus de l’Ofpra, notamment pour les personnes originaires de pays d’origine dits « sûrs », renforcement des mesures d’éloignement…
Les patients, non sans effet sur les professionnels qui les soutiennent, vivent sous une pression constante du fait des conditions sociales et administratives de plus en plus précaires dans lesquelles ils sont placés, parfois pendant des années.
Autre nouveauté révélatrice d’une réalité qui dépasse notre seul centre de soins : les patients qui obtiennent la protection continuent à nécessiter un accompagnement social, car les droits afférents à leur nouveau statut sont compliqués et longs à débloquer. La précarité perdure au-delà de l’obtention de ce qu’on considère, à tort, comme un sésame.
Le centre de formation Primo Levi a lui aussi été particulièrement sollicité : plus de 700 professionnels travaillant auprès de personnes exilées en ont bénéficié cette année, grâce à une offre encore plus diversifiée de formules et de thématiques. Les formations à la demande et les analyses de pratiques ont connu une forte augmentation, auprès de structures telles que des centres d’accueil pour les demandeurs d’asile, des Maisons d’enfants à caractère social ou des associations engagées dans l’accueil des personnes exilées.
Avec plus de 300 inscrits, le colloque « Je veux tout oublier – les paradoxes de l’oubli » a été une autre occasion d’offrir aux professionnels un espace de réflexion et d’échange autour de l’accompagnement de ce public, à travers, comme toujours, une approche pluridisciplinaire.
L’action de plaidoyer du Centre Primo Levi, notamment dans le cadre de la nouvelle réforme de l’asile et de l’immigration mais aussi autour des problématiques de santé, a été renforcée. Le rapport « La souffrance psychique des exilés, une urgence de santé publique », publié en juin avec Médecins du Monde, tire la sonnette d’alarme sur les besoins criants en matière de prise en charge sanitaire des personnes exilées et sur les carences de l’offre de soins. Les échanges réguliers avec les institutions publiques, les auditions et rendez-vous ont permis d’avancer de manière constructive sur la base des recommandations formulées par le Centre ou par les différents collectifs dont il est membre.
Alerté de ces problématiques, le Ministère de la Santé et des Affaires sociales a mis en place différents groupes de travail avec ses services et les associations du secteur, dont le Centre Primo Levi, afin de rédiger une instruction aux agences régionales de santé, parue le 8 juin 2018, pour la construction d’un parcours de santé des migrants. Via une autre instruction en date du 19 juin 2018, le Ministère a lancé un appel à projets pour l’identification de dix unités de prise en charge globale du psychotraumatisme. S’il est trop tôt pour se réjouir de la première instruction et si la deuxième suscite des interrogations quant à la place qui sera effectivement donnée aux personnes exilées au sein de ces dispositifs et quant à leur sous-dimensionnement, ces deux instructions témoignent du moins d’une prise de conscience de notre gouvernement sur ces questions. Le temps de la coconstruction est maintenant venu, afin que des solutions pérennes et adaptées soient apportées pour une meilleure prise en charge psychologique et médicale des personnes exilées en France et pour une intégration de ce public dans les dispositifs de santé de droit commun.