De la perte au départ

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S’il y a perte, il y a un départ. Une continuité du tour précédent sans que l’on sache vraiment où se poseront les pieds du pion, où se jouera le risque, le danger, le renouveau, par quels repères dorénavant nous serons guidés.

S’il y a perte, c’est qu’il y a un mouvement. Celui du deuil, douloureux et immuable, quel qu’en soit la durée et la coloration, le mouvement de l’après, de l’horizon indistinct, celui du risque que porte la vie.

S’il y a perte, c’est qu’il y a un adieu, quelque part, d’un lieu à une personne, dans la précipitation ou le détachement, teinté de douceur et de chagrin.

S’il y a perte, c’est qu’il y a de la résistance, de la violence, du conflit et de l’appréhension. Baisser les yeux pour ne pas regarder devant, regarder par en-dessous l’évidence, se tenir au bastingage du passé, se faire happer par les fantômes de l’Histoire et ignorer celle d’aujourd’hui.

S’il y a perte, c’est qu’il y a une mémoire. Celle des repères effacés et le vide laissé béant mais jamais vide, rempli toujours par la puissance de ce qu’offre le présent.

S’il y a perte, c’est qu’il y a du désespoir niché en chacun de soi, qui se révèle, de la panique, du désarroi, les certitudes qui se renforcent ou basculent.

S’il y a perte, c’est qu’il y a quelque chose de tangible, de palpable, un sentiment d’appartenance, des valeurs partagées et qu’il nous faudrait quitter, bon gré mal gré.

S’il y a perte, c’est qu’il y a de la douleur, du ressenti, de la colère et du dégoût. C’est qu’il devait y avoir de l’amour et de l’attachement, à ce monde que l’on quitte et qui se retourne à l’envers. Une expérience jamais imaginée, un départ jamais souhaité et tant d’amours à conquérir.

S’il y a perte, c’est qu’il y a du silence et des nuits noires, pour éviter les mots creux qui embarquent sur des terres polluées et acides, qui biaisent les souvenirs et étouffent l’écho possible.

S’il y a perte, c’est qu’il y a de l’émotion et des transmissions enserrées en soi, protégées et dissimulées du temps et des assauts.

S’il y a perte, c’est qu’il y a un trésor et des secrets, menacés d’être révélés.

S’il y a perte, c’est qu’il y a l’impuissance de ne pas être si puissant, mis dans l’inertie malgré soi ou grâce à soi, mis dans l’action grâce à soi et malgré soi.

S’il y a perte, c’est qu’il y a un sentiment d’étrangeté infini, une absence de connivence, un manque d’entour et une nécessité à être.

S’il y a perte, c’est qu’il y a des promesses à l’aube, après le crépuscule du chagrin et des résistances immenses dont nul ne peut être protégé.

S’il y a perte, c’est qu’il y a un demain, teinté de mélancolie et de souvenirs bercés, où la mémoire et le présent feront toujours défaut.

S’il y a perte, c’est qu’il y a de la conviction, dans les adieux et les lendemains.

S’il y a perte, c’est qu’il y avait de la vie.

S’il y a perte, c’est qu’il y a une suite.

 Elise Plessis, assistante sociale au Centre Primo Levi

NB : ce texte a été rédigé durant la période de confinement