L’espace de quelques minutes, la souffrance des femmes exilées a été publiquement reconnue

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« La totalité de nos patientes ont été victimes de violence sexuelle », cette phrase, prononcée pendant nos entretiens avec les parlementaires de l’Assemblée nationale ou du Sénat entraine systématiquement une certaine sidération dans l’assistance. Pour beaucoup, élu.es de la nation, il s’agit d’une information jamais entendue ou reléguée au second plan. Pourtant, l’exil féminin est maintenant devenu aussi marquant que celui des hommes, les femmes représentant la moitié des personnes déplacées dans le monde. Cette proportion n’est pas nouvelle et se confirme depuis une dizaine d’années, elle se retrouve aussi dans la file active du Centre Primo Levi, composée pour moitié de femmes.

Le profil des femmes qui s’exilent est très divers, autant que les raisons qui les poussent à quitter leur pays. Depuis les années 2000, leur exil n’est plus forcément lié à des enjeux familiaux, il devient plus solitaire, plus autonome. Il n’est pas très différent de celui des hommes. La décision est extrêmement difficile à prendre, elles savent comme eux que la violence sera au rendez-vous et ne les quittera plus.

Nous sommes, au Centre Primo Levi, les témoins de cette souffrance, que nous portons à la (re)connaissance de nos représentant.es, dans les bureaux du Palais Bourbon et du Palais du Luxembourg. Avec un objectif : adapter la politique d’accueil et d’asile à la situation très spécifique de ces femmes.

Bâtir un plaidoyer pour les femmes exilées, c’est tout d’abord réaffirmer la dimension politique des violences subies, qui ne sont ainsi pas le fruit du hasard, de la mauvaise rencontre, mais bien institutionnalisées et qui restent encore très rarement punies, malgré leur gravité. Il faut ensuite en faire entendre les conséquences physiques et psychologiques profondes et entrer dans la sphère de l’intimité. Comment faire comprendre à des représentant.es de la nation que le rapport de ces femmes exilées à leur corps est ébranlé, qu’il ne semble plus leur appartenir, comme abandonné, inhabité ? Comment convaincre que l’espace thérapeutique leur offre alors un lieu sécurisé où elles sont crues d’emblée dans ce qu’elles disent ? Et que leur accompagnement doit être adapté. Comment enfin expliquer ce qui est incompréhensible ou inavouable pour beaucoup d’élue.es : l’arrivée en France, au lieu d’offrir un répit indispensable, est synonyme de basculement dans la précarité, aux effets psychiques considérables ?

Plaider pour les femmes exilées signifie descendre dans les strates de la société française. Si les personnes exilées se trouvent dans la dernière couche, les femmes exilées sont-elles au dernier niveau de cette dernière couche. Il faut donc creuser la roche, mais cette progression vers une reconnaissance publique de leur situation est laborieuse, elle prend du temps. Il faut donc multiplier les contacts, intensifier les rendez-vous, adapter l’argumentaire, calibrer les recommandations, arpenter les auditions publiques, pour tenter de percer. Chaque passage de strate est symbolique et une victoire en soi. Quelle victoire justement ? C’est par exemple passer d’un simple rendez-vous à une audition par un groupe politique, puis à une audition en commission et à un amendement déposé par une députée sur la situation des femmes exilées, comme lors des débats sur le projet de loi immigration et intégration en 2024. Jusqu’à remonter au ministre de l’Intérieur de l’époque. Ce dernier, interpellé par une sénatrice sur la nécessité de prendre en compte les violences subies sur le parcours d’exil dans la demande d’asile (une de nos recommandations phare), avait répondu : oui, cette violence doit effectivement être prise en compte et cela doit nécessiter de faire évoluer le champ d’application de la Convention de Genève. Une réussite, certes impalpable, mais l’espace de quelques minutes, la souffrance des femmes exilées avait été publiquement reconnue.

Maxime Guimberteau, Responsable Plaidoyer et Communication