Lutter contre l’excision au sein de sa famille, un acte politique

< Revenir à la recherche

A travers des récits de patientes qui m’ont été orientées pour être accompagnées dans leur demande d’asile, j’ai été frappée par l’ampleur des persécutions des familles à l’égard des jeunes filles. Cette « autorité familiale » au sens large qui comprend aussi les oncles, les tantes et d’autres proches se place au-dessus des lois concernant les questions de l’excision et du mariage forcé. Pour s’en libérer, ces femmes doivent se livrer à une lutte immense contre leur propre famille, qui perdure au-delà des frontières même lorsqu’elles se retrouvent sur le territoire français. Si en France, la famille peut également être une sphère violente dont il est parfois difficile de s’extirper, la loi ou la justice peut être opérante pour condamner ces violences.

Si les traditions comme l’excision perdurent, c’est parce qu’elles sont considérées comme un socle de préservation de la communauté, au point que des femmes et des hommes sont prêts à commettre des violences extrêmes à l’égard d’enfants. Même si cette pratique contrevient à une loi, il n’y a pas de poursuites. Il n’existe aucune mesure réelle pour empêcher que ces actes de violence ne se produisent. Aucune autorité effective ne protège les femmes qui s’y opposent, ni les pères, ni les mères qui veulent arrêter ce cycle de violences pour leurs enfants.

L’OMS (Organisation mondiale de la santé) définit les mutilations génitales féminines (MGF) comme « toutes les interventions qui impliquent l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou toute autre lésion des organes génitaux féminins qui sont pratiquées pour des raisons non médicales. Ces pratiques ne présentent aucun avantage pour la santé des jeunes filles et des femmes et peuvent provoquer de graves hémorragies et des problèmes urinaires, et par la suite des kystes, des difficultés menstruelles, des infections ainsi que des complications lors de l’accouchement, et elles augmentent le risque de décès néonatal ».[1].

Par exemple, la Côte d’Ivoire a signé de nombreux textes internationaux et régionaux tels que la convention de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la convention relative aux droits de l’enfant de 1989. Elle est dotée d’une constitution qui interdit la pratique des MGF. Elle dispose que « l’esclavage, la traite des êtres humains, le travail forcé, la torture physique ou morale, les traitements inhumains, cruels, dégradants et humiliants, les violences physiques, les mutilations génitales féminines ainsi que toutes les autres formes d’avilissement de l’être humain sont interdites[2] ».

Selon un document établi par l’Ofpra, (Office français de protection des réfugiés et apatrides), la Côte d’Ivoire est l’un des pays africains qui prévoit les amendes les plus lourdes pour les auteurs d’excision mais dans l’ensemble, les sources indiquent que les poursuites et les condamnations sont quasi inexistantes.

C’est en effet tout un système qui repose sur la famille au sens large et qui lie ses membres. Celui qui s’en défait ou s’y oppose en est littéralement exclu et peut craindre pour sa vie et celle de ses enfants.

Les patientes victimes de ces actes témoignent parfois d’un parent, mère ou père qui s’opposent et promettent qu’elles y échapperont. Cependant si ce parent décède ou se retrouve isolé, d’autres membres de la famille court-circuitent leur décision.

De nombreuses femmes et hommes se battent pour faire évoluer les mentalités et les pratiques mais le pouvoir de la famille reste fortement lié à celui des croyances qu’elle véhicule et qui sacralisent ces traditions. En l’occurrence, si une femme n’est pas excisée, elle ne peut être une femme et cela ne peut que porter malheur. De ce fait, elle doit être exclue si elle n’est pas excisée.

Comment déconstruire cette croyance sans culpabiliser ?

Madame F a été excisée et a terriblement souffert de cet acte qui, dit-elle, l’a détruite. Elle a aussi été affectée par les souffrances qu’ont subies d’autres petites filles. Certaines en sont décédées. Pour ces raisons, Madame F a voulu combattre cette pratique notamment pour que sa fille ne soit pas excisée.

« Si je retourne dans mon pays, me dit-elle, je risque la mort car personne ne doit affronter les anciens en leur désobéissant ». Son combat a été d’autant plus important qu’elle s’est opposée à sa mère qui pratiquait les excisions au village. « C’est les femmes qui prennent les couteaux et les hommes aident en tenant les filles ». Les filles sont excisées par groupe, « par promotion », lors d’une cérémonie.

Cette cérémonie est préparée à l’insu des jeunes filles et celles qui ont été excisées sont tenues de ne pas en parler aux autres. Ainsi, c’est par surprise qu’elles sont emmenées, prises au piège, ce qui aggrave le traumatisme selon le témoignage des jeunes femmes que j’ai reçues.

Ces pratiques diffèrent selon le village, la région, le pays.

Très tôt, madame F raconte qu’en grandissant, elle discutait avec les gens du village pour les convaincre d’abandonner cette pratique. Les filles de ceux qui n’acceptaient pas l’excision étaient pointées du doigt, appelées « petits garçons ».

Madame F a convaincu d’autres femmes de son village de combattre avec elle cette pratique. Elles se déplaçaient dans d’autres villages. « C’était difficile. Quand j’allais, par exemple, dans une cour où se trouvaient plusieurs femmes pour leur parler de cela, cela énervait des gens et j’étais alors chassée ». Madame F m’explique qu’elle a réussi à convaincre des femmes mais elles avaient trop peur de leur famille pour franchir le pas.

« J’ai tenu un an mais après un moment particulièrement violent, nous avons arrêté ».  Elles étaient parties dans un village voisin où elles étaient attendues. Alors qu’elles parlaient à des femmes, celles-ci se sont énervées manifestant leur désaccord et d’autres personnes sont arrivées et leur ont jeté des pierres. Elles ont été blessées.

Après cet évènement, elles ont voulu parler au chef du village qui leur a reproché de ne pas être de bons exemples et de ne pas respecter leurs maris. Il leur a affirmé qu’il ne fera rien pour arrêter cette coutume.

De plus, quand son père a appris ce qu’elle faisait, il l’a violemment frappé.

Puis, malgré la promesse de son mari, elle apprend que ses parents et ceux de son mari allaient prendre sa fille à la sortie de l’école dans les prochains jours. Elle décide alors de s’enfuir avec elle.

Selon le dernier rapport d’activité de l’OFPRA, plus de 47% des femmes demandeuses d’asile (majeures ou mineures) ont été placées sous la protection de l’OFPRA en 2024, une augmentation par rapport à 2023. […] Les mariages forcés et précoces sont souvent associés à d’autres formes de violences notamment les MSF et les violences intrafamiliales au titre du continuum de violences. Ce qui fut le cas de Madame F qui a obtenu la protection pour sa fille mais aussi pour elle-même compte-tenu du risque qu’elle encourait personnellement et ceci pour plusieurs raisons. Pour n’avoir pas soumis ses filles à l’excision, Madame F pouvait subir de nouvelles violences, dont une 2ème excision ; mais aussi pour son engagement à changer les pratiques dans un intérêt général et que l’on pourrait qualifier de politique. Le simple fait de refuser cet acte pour soi-même en tant que jeune fille ou femme est un acte d’opposition contre un pouvoir bien établi qui expose à des violences extrêmes.

Aurélia Malhou, juriste


[1] https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/female-genital-mutilation ; consulté en octobre 2025

[2] https://digitallibrary.un.org, consulté en octobre 2025