Un cadre pour soutenir le désir des mères accueillies

< Revenir à la recherche

En centre maternel, des mères isolées et leurs enfants âgés de 0 à 3 ans, sont accueillies et prises en charge au quotidien. Elles ont des profils divers, de tous âges, de nationalité étrangère et souvent primo arrivantes sur le territoire, ou françaises, ayant des parcours de vie difficiles voire traumatiques, avec des ruptures familiales ou des violences. Dans tous les cas, le dénominateur commun reste l’enfant.

Elles intègrent un centre maternel pour une raison première : être soutenue et aidée dans leur parentalité. Les causes amenant ces jeunes mères à avoir besoin d’un soutien quotidien sont plurielles. Souvent, elles sont isolées ou sans relais solide ou fiable et dans des situations très précaires : absence de droits, de régularisation sur le territoire, peu ou pas de ressources ou/et sans domicile. La première conséquence de toutes ces difficultés est le risque encouru pour l’enfant, tant dans son lien à son parent que dans son développement global.

La structure d’hébergement qui les accueille leur offre un toit, un espace de vie, une adresse, des ressources, et l’aide de professionnels qui les accompagnent et les soutiennent. L’hébergement proposé vient répondre à leurs besoins primaires et peut les aider à sortir d’une fonction de survie. Ce n’est qu’une fois les besoins primaires satisfaits et assurés qu’elles peuvent avoir la disponibilité psychique pour penser.

Toutes n’arrivent pas avec une réponse à ce qu’elles veulent pour elles et leur enfant. La plupart du temps, elles souhaitent « vivre mieux », « offrir mieux pour leur enfant » et sortir du centre maternel pour aller vers « un lieu plus stable, chez elle ».

L’arrivée d’un enfant, qu’il soit le premier ou non, reste un bouleversement. Notre accueil au centre maternel Les Acacias offre à ces femmes un espace où elles peuvent être pleinement reconnues et soutenues dans leur fonction parentale. Elles sortent ainsi de l’isolement. Au-delà de la protection de l’enfance, le centre maternel a un rôle de prévention et de guidance parentale. Le travail est toujours pensé et élaboré avec elles. Cette notion de faire « avec » permet progressivement à ce qu’elles puissent se sentir en confiance dans l’institution.  

La présence de professionnels dans leur quotidien vient créer une notion de partage et d’enveloppe.

Une fois qu’une réponse a pu être apportée à leurs besoins primaires, que le soutien dans le quotidien a pu être perçu et compris, dans le respect de leur intimité et de leur temporalité psychique, les femmes peuvent avoir la place pour « penser plus et plus loin ». L’installation d’une routine dans un lieu sécure, vient faire émerger chez elles des envies qu’elles n’avaient pas pu penser avant.  

Les femmes accueillies vont alors être soutenues sur tous les aspects de leur vie afin de réfléchir une sortie de la structure – quand cela est possible – vers un lieu stable, sécurisant et privé. L’accompagnement global et pluridisciplinaire signifie être accompagnées sur différents volets : parentalité, situation administrative, formation, emploi, vie sociale, vie familiale, santé. Elles sont alors confrontées à une question : « Que veulent-elles pour elle et leur enfant ? ». Elles doivent penser leur avenir, le réfléchir, le confronter et sont guidées en fonction de la réalité de leur situation individuelle et en fonction de ce que cette question peut venir faire bouger en elles. Pour chacune d’entre elles, la temporalité est différente. Leur histoire, les traumatismes passés et la place laissée pour penser ne sont pas portés de la même manière pour chacune.

Certaines peuvent arriver sans demande, sans désir et montrent des difficultés à répondre à ces questions, ce qu’elles veulent pour elles et leur enfant. Faire émerger une demande peut ainsi demander du temps. Il apparait souvent que leur enfant est un moteur dans cette dynamique car il grandit et évolue. Il s’épanouit alors aussi en dehors de l’espace offert par sa mère, notamment à la crèche. Cela peut permettre à la femme de découvrir aussi ses envies et ses désirs auxquels elle n’aurait pas pu penser jusqu’alors. Cet espace protecteur du centre maternel permet un travail de réappropriation de son histoire, de sa condition de sujet pensant et désirant, état qui parfois fait son apparition pour la première fois chez ces femmes. La notion de désir peut s’envisager alors car chaque femme est actrice de son existence et de ses choix.

Les femmes que nous accueillons sont encouragées à devenir décisionnaires de leur avenir. Cela peut souvent être la première fois qu’une telle demande ou opportunité leur est faite. Elles doivent prendre des décisions pour leur enfant, mais aussi pour leur avenir professionnel, leur quotidien… Elles sont donc soutenues et guidées en ce sens. Elles sont invitées à se saisir des moyens mis à leur disposition afin d’en tirer les bénéfices et sortir d’un cadre de simple contractualisation avec l’institution. Beaucoup de femmes peuvent verbaliser que ce cadre leur a permis de se repenser et parfois de se définir différemment, au-delà de leur rôle de mère. D’autres n’ont pas cette capacité à se saisir de ce travail et de faire suffisamment confiance pour l’investir.

Pour celles qui y parviennent, cette perspective les invite à repenser leur avenir différemment, avec des étapes construites au fil des mois. Chaque échéance laisse ainsi la place au changement et à l’évolution de leurs désirs tout en accompagnant leur enfant dans son développement et en s’ajustant à ce dernier.

L’espace collectif, sur un lieu partagé et commun, leur permet de créer du lien entre elles. Nous avons pu constater qu’il pouvait aussi en découler une véritable entraide, en dehors du cadre institutionnel. Ainsi, une communauté de femmes et de « co-mères » voit le jour et porte chacune à des degrés divers. En centre maternel, le terme de « co-mères » désigne les liens de solidarité et d’entraide qui se tissent entre les mères accueillies, autour de leur expérience commune de maternité et de vie quotidienne.  Certaines s’en saisissent et se recréent une base solide d’appuis identitaires et narcissiques, d’autres évoluent en parallèle du collectif, s’en nourrissant par moment, s’en préservant par d’autres. Cela passe notamment par la préoccupation maternelle qui transcende l’immédiat et le passé pour se tourner vers l’avenir.

Pour certaines femmes, l’accueil en centre maternel représente un premier lieu de sociabilisation, une part de vie qu’elles peuvent ne jamais avoir connu avant. Il vient rompre un isolement parfois profond et ancien et la collectivité leur permet de créer ou recréer des codes d’une vie sociale. La collectivité peut aussi devenir le lieu de projections pour l’avenir, une source d’inspiration au travers d’échanges entre elles sur ce qu’elles peuvent faire et devenir. La dimension de vivre ensemble prend alors toute sa symbolique et fait naître des espoirs chez chacune d’un lendemain meilleur, d’une autre vie possible. « S’être refait une nouvelle famille au-delà de ma famille » et « vous aussi, vous en faites partie» (discours rapporté de résidentes).  

Ainsi, à travers ce maillage institutionnel et humain, nous avons pu observer certaines femmes prendre possession de leur rôle de mère mais aussi se construire en tant que femme en portant leurs demandes afin de les réaliser.

Leur accompagnement et leur accueil évolue sous différentes temporalités :

Le temps de l’installation et de l’appropriation d’un espace sécure. Il s’agit en l’occurrence de prendre le temps pour leur enfant et pour elle et d’identifier les besoins de chacun en lien avec l’équipe de professionnels. Pour certaines femmes, apparait, après le temps de l’installation, une véritable éclosion, comme un droit d’exister en tant que soi et prendre une place en tant que telle. Ainsi, un équilibre peut être trouvé entre les préoccupations de la mère et les besoins de son enfant.

C’est également un temps pour apprendre à se retrouver et se recentrer sur soi. Au-delà des questions essentielles, leur apporter des opportunités de vie et de découvertes permettent d’élargir l’accueil en centre maternel à la notion de plaisir, de bien-être et de loisirs. L’enfant vient créer une dynamique dans cette réflexion et le travail de proximité immédiat permet de l’harmoniser au mieux pour la famille. « Je veux apprendre à lire pour pouvoir raconter des histoires à mon enfant », « Je veux apprendre à nager pour pouvoir emmener mon enfant à la piscine » ; tels sont quelques exemples de projets personnels qui viennent illustrer leur prise de possession de leur parentalité.

Ce travail au long cours vient remettre au cœur de l’accompagnement la considération faite à ces femmes en tant que sujet. Le centre maternel vient accompagner cette reconstruction, voire construction narcissique, afin de donner une place et de la valeur à chacune et les aider dans la construction d’une assise subjectale solide où leur confiance en elles ne peut que se retrouver renforcée.

Ce cadre reste contraignant mais permet de penser leur accueil comme une « bulle », une étape pour la suite. L’institution et les professionnels deviennent des « témoins » d’une période où elles sont devenues ou redevenues mères. Le centre maternel représente l’importance des mille premiers jours d’un enfant. Pour les mères les plus démunies et isolées, il offre un cadre qui peut répondre au mieux à ce temps de développement essentiel pour un enfant mais aussi soutenir et accompagner les mille premiers jours de la mère.

Océance Ancel, adjointe de direction et l’équipe du Centre maternel Les Acacias