Publié sur le site de FranceInfo
Le profil psychologique de l’assaillant a relancé le débat sur la prise en charge psychologiques des migrants. Pourtant, il faut bien faire attention à distinguer les pathologies. Article rédigé pa
“C’est un cas qui relève de la psychiatrie.” Au téléphone, Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, anthropologue et psychologue à l’hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis), se veut très claire : l’auteur de l’attaque de Villeurbanne – un Afghan d’une trentaine d’années – est “un individu malade”. Et si “sa situation d’errance n’a pas dû arranger les choses”, sa condition de migrant ne serait pas pertinente, selon les premiers éléments de l’enquête.
“Il n’y a pas plus de psychotiques dans les populations migrantes que dans la population française”, appuie Eric Sandlarz, psychologue clinicien au centre Primo-Levi, un centre de soins destiné aux personnes victimes de la torture et de la violence politique dans leur pays d’origine. Une première évaluation psychiatrique réalisée lors de la garde à vue du suspect a d’ailleurs révélé “un état psychotique envahissant avec délires paranoïdes à thématiques multiples dont celles du mysticisme et de la religion”, d’après le procureur de la République.
“Les migrants sont les moins bien lotis”
La question de la prise en charge mentale des demandeurs d’asile et des réfugiés a pourtant immédiatement surgi dans le débat public. Mais il faut bien distinguer les troubles psychiatriques du psychotraumatisme, qui concerne toutes les conséquences psychologiques résultant d’un événement violent. Sans surprise, les exilés sont plus susceptibles de développer ces troubles que d’autres populations. “Moi, ce que je traite, c’est la question du psyotraumatisme, c’est-à-dire la réaction à une série de situations anormales”, explique Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky. A l’hôpital, elle reçoit ainsi essentiellement des demandeurs d’asile victimes de tortures et de violences. “Le syndrome de stress post-traumatique est alors très souvent associé à des syndromes de dépression comme l’envie de ne rien faire, des difficultés pour s’alimenter, s’endormir, une immense tristesse…” détaille-t-elle.
Si les médicaments, et notamment les anxiolytiques, peuvent être une réponse à ces troubles, ils sont loin d’être l’alpha et l’oméga de la prise en charge. “Beaucoup de mes patients n’ont pas de médicaments. Il faut alors recontextualiser ce qui s’est passé via une psychothérapie. Je crois énormément que les personnes qui ont vécu ce type de violences ont besoin d’avoir un tiers qui peut écouter ce qui s’est passé.” Pourtant, de l’avis des spécialistes, ce genre de structures reste rare. “L’état de la prise en charge en France est quasiment nul, cingle Eric Sandlarz. Ce sont d’abord les accompagnants, les travailleurs sociaux qui amènent les premiers soins.”
C’est rarissime pour un demandeur d’asile d’accéder à un psychologue. Eric Sandlarz à franceinfo
Ce dernier évoque ainsi “la carence des psychiatres” ou le fait qu’il faille “plus d’un an pour avoir un rendez-vous”. “Dans l’ensemble, la psychiatrie en France est dévastée, les services sont saturés et les équipes mobiles ont peu de moyens. Il y a bien des libéraux qui font des consultations gratuites mais ça ne suffit pas”, pointe également Delphine Fanget, chargée de mission à Médecins du monde et coordinatrice d’un rapport sur “la souffrance psychique des exilés”.
Résultat : “Les migrants sont la dernière roue du carrosse, ils sont les moins bien lotis”, assure Eric Sandlarz. A la défaillance de cette prise en charge des souffrances de leur vie “d’avant”, s’ajoutent toutes les difficultés auxquelles ils font face dans leur pays d’accueil. “Les violences institutionnelles viennent réactiver des violences vécues sur parfois plusieurs années”, dénonce Delphine Fanget.
La précarité administrative, institutionnelle, c’est quelque chose de très déstabilisant. Delphine Fanget à franceinfo
Cette dernière cite la durée d’obtention des papiers ou les conditions de vie dans “des habitats précaires”. “On a tenté de les effacer chez eux et on leur demande de s’effacer ici. Ils en arrivent à se dire que la violence est pire ici que là-bas”, assure Eric Sandlarz.
“Ces personnes vont très mal”
De l’avis de ces spécialistes, la situation ne va pas en s’améliorant. Pire, elle se dégrade. “On est atterrés par la tournure que prennent les choses, les droits fondamentaux ne sont pas respectés, les conditions se durcissent”, affirme Delphine Fanget.
C’est le ministère de l’Intérieur qui semble avoir voix au chapitre sur la santé des migrants. Delphine Fanget à franceinfo
“Depuis quelques années, la procédure de régularisation pour soins est passée sous le contrôle de l’Offi [l’Office français de l’immigration et de l’intégration] qui est sous tutelle du ministère de l’Intérieur”, indique-t-elle. “Il est aujourd’hui beaucoup plus difficile qu’en 2015 d’obtenir un titre de séjours pour soins sur la base du psychotrauma. Il y a eu une baisse de moitié de la délivrance des titres de séjours pour ce motif. On vous soupçonne plus facilement de fraude, étant donné que le psychotrauma ne se voit pas”, argue Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky.
Selon elle, “la question psychologique des réfugiés est déniée” au niveau du gouvernement et du ministère de l’Intérieur. Et la possible réforme de l’aide médicale d’Etat n’est pas pour rassurer ces professionnels. Selon les informations du Monde, “l’exclusion des soins psychiatriques serait par exemple à l’étude”. “Le psychotrauma est devenu très politique, soupire Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky. La situation se dégrade et il y a encore beaucoup de déni sur la question psy.” Pourtant, “ces personnes vont très mal, ceux qui sont passés par l’horreur, il faut les prendre en charge”.