Des femmes en exil
Au Centre Primo Levi, la moitié des personnes accompagnées sont des femmes. Presque toutes ont subi la torture, le viol, la mutilation, les persécutions intra-familiales ou la perte brutale de leurs proches. Leurs voix oscillent entre silence et cri. Face à cette destruction, la réponse ne peut être qu’humaine, collective, tissée — à la croisée du soin, du droit, du corps et de la parole. Ce numéro de Mémoires explore la pluralité de ces approches, où chaque praticien.ne invente avec chacune d’elle des chemins de reconstruction.
L’exil féminin traverse l’espace géopolitique, mais aussi la psyché et la langue. Certaines femmes fuient l’excision ou le mariage forcé, d’autres la guerre ou la persécution politique, parfois au péril de leur vie. À leur arrivée, elles cherchent d’abord à survivre, puis à retrouver une place dans le monde commun et à se réapproprier leur vie. Le plaidoyer pour la reconnaissance de leur souffrance rappelle que ces violences, trop rarement punies, exigent une adaptation des politiques d’accueil.
Mais l’exil s’inscrit aussi dans le corps des femmes. À travers le soin, elles réapprennent peu à peu à habiter leur corps et à renouer avec leur féminité blessée, comme le montre Hélène Desforges, kinésithérapeute. Toucher, respirer, se redresser : ces gestes portent une puissance de renaissance. Dans des ateliers collectifs de Parcours -danse, musique, sport-, les femmes réparent le lien social, retrouvent la joie et la confiance.
La parole devient l’espace central de reconstruction. Certaines femmes, pétrifiées par la violence, avancent mot après mot : « Je veux réapprendre à parler », dit Madame S. à Jacky Roptin, psychologue et psychanalyste, lui-même amené « à prêter (sa) voix, pour évoquer la clinique ». Chaque mot est un pas vers la réappropriation de soi, un espace fragile où se travaille le traumatisme, semaine après semaine.
Ce n’est pas la mort qui est l’opposé de la vie, c’est la destruction, nous dit la psychanalyste Nathalie Zaltzman. Résister à la destruction, c’est ce que font ceux qui accompagnent ces femmes : par le soin, la parole, le droit, l’accompagnement social et la créativité, ils offrent un espace où le féminin blessé peut reprendre souffle, réapprendre le désir et réinvestir le corps. Ce numéro est une rencontre avec ces pratiques, et surtout avec ces voix de femmes qu’elles contribuent à porter, faire entendre et rendre vibrantes.
Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, Présidente du Centre Primo Levi