Comment résiste-t-on à la torture et comment peut-on s’en remettre ? Dans un article du dernier numéro de Philosophie Magazine, le philosophe Miguel Benasayag “livre un récit et une réflexion qui nous font plonger au cœur de la condition humaine – dans ce qu’elle a de plus abject et de plus lumineux.” (1)
Miguel Benasayag s’est engagé très jeune dans la guérilla guévariste, qu’il définit comme “faisant partie de la contre-culture ou du contre-pouvoir” plutôt que comme un groupe armé au milieu d’une société pacifique, selon l’idée que l’on s’en fait généralement.
Arrêté à deux reprises et relâché en ayant réussi à cacher son identité, puis dénoncé sous la torture par un autre combattant, il a été arrêté une troisième fois et torturé à son tour. Pris cette fois-ci pour un combattant et toujours pas pour le responsable d’unité qu’il était, il a été mis en prison où il est resté quatre ans.
Le courage et la résistance ont fait beaucoup, le hasard a fait le reste. Par sa mère, Miguel Benasayag a également la nationalité française. “Pour couvrir la mort de deux religieuses françaises assassinées, on a réclamé la libération de Français arrêtés en Argentine. C’est comme ça que, sans le savoir, j’ai « bénéficié », pendant l’hiver 78, de cet assassinat, et je me suis retrouvé en France avec le statut de Français libéré, alors que je n’avais jamais mis les pieds en France auparavant.” (2)
Depuis, Miguel Benasayag est devenu philosophe, psychanalyste et chercheur. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages dont les premiers témoignent de son expérience de la guérilla et de la prison.
Dans cette interview donnée à Philosophie Magazine, il parle du mystère de la résistance à la douleur physique, de l’importance que prend le tortionnaire dans la vie psychique de sa victime. Son tortionnaire Juan Carlos Falcon ayant été acquitté il y a quelques mois par la justice argentine, le journaliste lui demande son sentiment. “Si j’ai une grippe, répond Benasayag, je ne déteste pas la bactérie. Je la surmonte, je la vaincs en lui opposant une force de vie supérieure. C’est la même chose avec Falcon. Beaucoup des gens qui ont été torturés pensent sans cesse à leur bourreau, ils en rêvent la nuit, cela devient une obsession. Moi, je ne peux pas laisser ma vie être polluée par des types comme celui-là. Il est la bactérie que ma santé va métaboliser et surmonter.”
(1) Extrait de l’introduction de l’interview publiée dans Philosophie Magazine (février 2015).
(2) Extrait d’une interview recueillie en 2001 par Thomas Lemahieu pour pour le site peripheries.net.