L’ACAT poursuivie par le Maroc

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Sur quels motifs ACAT est-elle convoquée par la justice marocaine ? Qui a déposé plainte ? Les victimes de torture soutenues par l’ACAT font elles aussi l’objet de plaintes ?

Le représentant légal de l’ACAT est convoqué le 26 février au tribunal de grande instance de Rabat dans le cadre de l’instruction d’une plainte déposée par le ministre de l’Intérieur pour diffamation, dénonciation calomnieuse, outrage envers les corps constitués, utilisation de la manœuvre et de la fraude pour inciter à faire de faux témoignages, complicité et injure publique. Adil Lamtalsi et Naâma Asfari, deux victimes qui ont porté plainte pour torture, sont aussi visés par la plainte du ministre de l’Intérieur marocain et poursuivis en justice pour des délits similaires. L’ACAT, en tant que personne morale, peut être condamnée à une amende et à verser des dommages et intérêts. Adil Lamtalsi et Naâma Asfari, eux, encourent en plus des peines pécuniaires, des peines pouvant aller jusqu’à 5 ans de prison ferme. Des peines pour avoir osé porter plainte pour torture.

L’ACAT s’est-elle présentée à la justice marocaine ?

Nous avons décidé de ne pas envoyer le représentant légal de l’ACAT au Maroc, pour deux raisons. D’une part nous considérons que cette procédure est inique en ce qu’elle vise à dissuader les victimes de porter plainte et à punir les associations qui les soutiennent; d’autre part, malgré les dispositions impératives du code pénal marocain qui empêchent le placement en détention provisoire du représentant d’une personne morale, pour les faits reprochés à cette dernière, l’évidente partialité de la justice marocaine dans cette affaire ne permet pas d’exclure un placement en détention du représentant légal de l’ACAT.

L’ACAT a toutefois choisi de se faire représenter, au-delà de son conseil habituel, par un avocat marocain dans le cadre de cette plainte afin de pouvoir défendre au mieux les victimes de tortures, qui sont elles aussi poursuivies.

En quoi cette convocation est-elle illégitime et illégale?

Cette convocation est d’abord illégitime car elle constitue sans nul doute une mesure d’intimidation qui s’inscrit dans le cadre d’une politique répressive revendiquée par le ministre marocain de la justice et des libertés.

En effet, le 11 juin 2014, El Mustapha Ramid, a réaffirmé la volonté des autorités marocaines de prévenir la torture et les autres mauvais traitements et d’enquêter sur ces actes… mais précisant que « le parquet engagera les procédures judiciaires nécessaires en cas de dénonciation d’infractions inexistantes ou de volonté de porter atteinte à la réputation de personnes ou d’institutions » !

Wafaa Charaf a fait les frais de cette annonce. Début juillet, cette militante du mouvement du 20 février et de l’Association marocaine des droits de l’homme a été arrêtée pour la punir d’avoir porté plainte contre des tortures subies en avril 2014. Lundi 20 octobre, la cour d’appel de Tanger l’a condamnée à deux ans de prison ferme pour dénonciation calomnieuse.

Par ailleurs, la convocation est illégale car elle constitue une violation flagrante de l’article 13 de la Convention de l’ONU contre la torture, ratifiée en 1993 par le Maroc, qui interdit aux États d’entraver le dépôt de plaintes pour des tortures commises sur leur territoire. Le recours à plusieurs articles du code pénal marocain utilisés à l’encontre de l’ACAT et des victimes a été dénoncé par d’autres organisations des droits de l’homme.

Sur quel fondement légal une ONG française peut-elle porter plainte contre des agents marocains ? Ne s’agit-il pas d’ingérence ?

Non, absolument pas. Les plaignants sont français et, en tant que tels, ont le droit de porter plainte en France pour des crimes qui ont eu lieu à l’étranger.

Pourquoi ne pas avoir déposé plainte au Maroc ?

Au cours de leur présentation devant différents magistrats marocains, les victimes représentées par l’ACAT ont allégué à plusieurs reprises avoir été torturées. Malgré ces allégations faisant obligations aux magistrats de diligenter une enquête, rien n’a été fait, en violation flagrante de la Convention contre la torture et du droit marocain.

Plusieurs défenseurs des droits de l’homme sont sous les verrous parce qu’ils ont porté plainte pour torture, sans qu’aucune enquête n’ait été menée sur les sévices qu’ils ont allégué avoir subis.

Compte tenu des biais de la justice, l’ACAT a décidé de se battre au côté des victimes avec les armes dont elle dispose : le droit français, sachant qu’il lui était possible de porter plainte en France puisque plusieurs victimes sont franco-marocaines.

Sur quels éléments avez-vous fondé vos plaintes ?

Dans chaque dossier de plainte déposé en France, nous avons notamment des récits circonstanciés et des témoignages concordants, corrélés tant par la chronologie que par les éléments tirés des dossiers pénaux et les informations et rapports d’autres ONG de défense des droits de l’homme et d’organes des Nations unies. Après avoir rassemblé ce faisceau d’indices, nous avons décidé qu’il était assez étoffé pour agir en justice. C’est aussi l’avis de la juge d’instruction française qui, saisie d’une de nos plaintes, a estimé qu’elle était suffisamment sérieuse pour justifier la convocation du directeur de la DST marocaine, Abdellatif Hammouchi.

Dans les cas concernés, il était d’autant plus important d’avoir un dossier solide que la justice française a très peu de moyens pour mener des enquêtes hors du territoire français. Elle ne peut pas mettre sur écoute ou faire des perquisitions comme elle le ferait sur le sol français. Si nous avons monté un dossier étayé, c’est précisément pour apporter des éléments que la justice marocaine ne livrera certainement jamais à la justice française.

La torture est-elle une pratique courante au Maroc ?

Après une visite d’une semaine au Maroc en 2012, Juan Mendez, le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture avait déclaré que la torture reste une pratique fréquente dans le pays. Il avait relevé que les pratiques tortionnaires sont particulièrement mises en œuvre pendant les interrogatoires pour arracher des aveux, et que les juges refusaient presque systématiquement d’enquêter sur les allégations de torture.