Publié le 21 novembre dans Libération
A l’occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, le Groupe SOS et Stand Speak Rise Up ! proposent, le 21 novembre à Paris, une journée d’échanges et de débats intitulée «Femmes en situation d’exil : De la violence à la résilience, accompagner l’après». Un événement dont Libération est partenaire.
Muganga, le film qui retrace le parcours de Denis Mukwege, prix Nobel de la paix est actuellement en salle. Il montre surtout les atrocités subies par des milliers de femmes, juste parce qu’elles sont femmes. Le viol comme arme de guerre. Ce n’est pas une fiction. Combien de vies perdues, brisées, ignorées ? Aujourd’hui encore, et demain toujours ? De nombreux propos de responsables politiques, et les décisions budgétaires prises ces derniers mois convergent vers la même logique : invisibiliser les violences faites aux femmes, ici et ailleurs, et considérer que les accompagner est superflu. Mais protéger, héberger, et accompagner les survivantes dans leur reconstruction n’est pas optionnel — c’est une question de dignité et d’investissement pour l’avenir.
A travers le monde, des dirigeants et responsables politiques multiplient les déclarations qui banalisent ou méprisent les droits des femmes. Le dernier rapport des Nations Unies lié aux violences sexuelles dans les conflits démontre une augmentation de 25 % par rapport à l’année précédente. On entend encore des voix qui réclament le retour des femmes «au foyer», la limitation de leur autonomie, ou, comme récemment aux Etats-Unis, la remise en cause du droit de vote. En Iran, les lois sont de plus en plus répressives. En Afghanistan les femmes n’ont même plus le droit de faire entendre le son de leur voix. Aux Etats-Unis, en Russie et en Europe, certains gouvernements utilisent la «protection des valeurs familiales» comme prétexte pour restreindre l’accès à la contraception ou à l’avortement. Partout, les droits fondamentaux des femmes restent fragiles et constamment menacés, il faut toujours se battre pour que les corps des femmes ne soient plus des champs de bataille.
Ces propos, tenus par des responsables de haut rang, ont des effets concrets : hausse des violences, multiplication des situations d’exil, et aggravation de souffrances longtemps ignorées. Les corps des femmes ont toujours été des terrains de violences, leurs vies un enjeu politique et idéologique pour atteindre des communautés entières. Derrière ces crimes se cache la destruction de générations. Et un échec profond de l’humanité.
En République démocratique du Congo, et ailleurs, le viol est une véritable tactique de guerre, méthodique et stratégique. Le Dr Mukwege à l’Hôpital de Panzi répare les corps de nourrissons et l’ONU a dénoncé récemment l’enlèvement et les viols commis à l’encontre de fillettes d’à peine 10 ans, dans un conflit interminable qui dure depuis près de 30 ans. Au Guatemala, les gouvernements successifs en place n’ont pas respecté leurs obligations envers les filles subissant des grossesses précoces et forcées à la suite de violences sexuelles.
Au Soudan, les violences sexuelles sont devenues une pratique systématique : des femmes et des filles, délibérément prises pour cibles par les milices, subissent viols collectifs, détentions et grossesses forcées, tout comme des femmes et des enfants yézidis, qui sont toujours aux mains de Daesh. En Afghanistan, le taux de suicide est le plus élevé au monde pour les jeunes femmes de 15 à 25 ans.
Sur le terrain, la détresse
Nous, acteurs de terrain, accompagnons chaque jour des femmes victimes de violences. Parmi elles, nombreuses sont celles qui vivent dans des pays en conflits, ou en situation d’exil, ayant fui la guerre, les persécutions, les violences sexuelles utilisées comme arme de guerre. Elles arrivent dans leur pays d’accueil avec l’espoir de trouver refuge et dignité. Mais elles se heurtent trop souvent à des dispositifs saturés, fragilisés par des coupes budgétaires répétées. Certaines femmes que nous recevons doivent attendre des semaines pour trouver une place d’hébergement sécurisé, d’autres n’ont pas accès à un suivi psychologique faute de moyens. Sans parler de l’accès à un parcours de santé adéquat. Ces parcours abîmés ne sont pas des anecdotes : ce sont les conséquences directes de choix politiques.
En France, nous avons vu disparaître des places d’hébergement d’urgence pour les femmes victimes de violences, faute de financements pérennes. Des associations locales ferment leurs portes, incapables d’assurer leurs missions. L’attaque récente contre l’Aide médicale d’État (AME) en est une illustration frappante : restreindre l’accès aux soins des femmes migrantes, c’est les condamner à une santé fragilisée, compromettre leur reconstruction et accroître leur dépendance économique et sociale.
A l’international, les constats sont similaires. Dans plusieurs pays, des gouvernements réduisent les budgets destinés aux droits des femmes et à la lutte contre les violences. Aux Etats-Unis, les coupes opérées dans certains financements de l’Usaid ont limité la portée des programmes d’appui aux organisations internationales soutenant les femmes réfugiées, comme le souligne le rapport de la Women’s Refugee Commission (2 025). Ces reculs politiques alimentent la précarisation et fragilisent la cohésion sociale. Là où les droits des femmes reculent, c’est l’ensemble de la société qui régresse. Quand l’Etat ou les collectivités amputent ces financements, ce ne sont pas des lignes dans un budget que l’on supprime : ce sont des vies que l’on replonge dans la solitude, la pauvreté ou la violence.
Ces choix politiques portent un message clair : la protection des femmes serait secondaire. Nous affirmons le contraire : elle est la condition même d’une société démocratique et juste.
Le coût des violences
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon l’OCDE, les violences faites aux femmes coûtent environ 2 % du PIB mondial en pertes de productivité, dépenses de santé et dispositifs judiciaires. En France, le Haut Conseil à l’Egalité estime le coût des violences faites aux femmes à plusieurs milliards d’euros chaque année. La Banque mondiale estime que chaque euro investi dans la prévention et l’accompagnement est rentabilisé cinq à dix fois. Accompagner ces femmes, c’est leur permettre de retrouver un emploi, un logement, une stabilité, et réintégrer leurs communautés. C’est transformer des victimes en contributrices, bénévoles, formatrices. Les abandonner, c’est transférer le coût vers les hôpitaux, les services sociaux et les dispositifs d’urgence. La solidarité n’est pas un luxe : c’est un investissement humain et social.
Nous refusons le silence
Nous refusons l’idée que restreindre les droits humains soit un choix possible. Nous refusons que les femmes exilées, après avoir survécu à l’indicible, soient condamnées à revivre la violence par le désintérêt budgétaire, et l’abandon de ceux qui décident. Les droits des femmes ne se négocient pas. La protection et l’intégration des femmes victimes de violences ne sont pas une dépense accessoire mais une politique publique stratégique. Elle conditionne notre avenir collectif.
Nous appelons les pouvoirs publics à agir sans attendre. Former les agents publics aux violences vécues par les exilées avant, pendant et après l’exil, renforcer les financements des associations qui travaillent directement avec les personnes en exil, intégrer les femmes dans les processus de paix et soutenir les ONG locales à l’international : ces mesures sont essentielles. La protection des femmes exilées doit être au cœur de l’Agenda «Femmes, Paix et Sécurité», en garantissant santé, justice et insertion professionnelle. Les survivantes de violences doivent devenir une priorité des politiques de reconstruction.
Signataires :
S.A.R. la Grande-Duchesse Maria Teresa de Luxembourg, présidente-fondatrice de Stand Speak Rise Up ! Chékéba Hachemi, cofondatrice de Stand Speak Rise Up ! Gaëlle Tellier, Vice-Présidente du Groupe SOS en charge de l’égalité de genre et des Solidarités. Céline Bardet, juriste et enquêtrice criminelle internationale, fondatrice et directrice de l’ONG «We are Not Weapons of War. Violette Perrotte, Directrice de la Maison des Femmes. Kévin Goldberg, Directeur Général de Solidarités International Président du secteur international du Groupe SOS. Simoné Etna – Co-directeur de Kabubu. Jimmy Corneille, Directeur de Singa Luxembourg. Laurence Fischer, fondatrice et Fight for Dignity. Sami CHEIKH MOUSSA directeur de l’association Réfugiés Bienvenue. Benjamin Soudier, Directeur général de Santé Sud. Karen Smail, Directrice de Joséphine du Groupe SOS Solidarités. Vincent Beaugrand, Directeur Général de France terre d’asile. Tatiana Theys, directrice générale du Centre Primo Levi. Aurélie Gal Régniez, Directrice Exécutive d’Equipop. Alexandre Lourié, Directeur général du secteur international du Groupe SOS. Guillemette Petit, Directrice Général de Play International