Vous avez rejoint Centre Primo Levi début 2024, quelles étaient vos motivations ?
J’ai décidé de rejoindre le Centre Primo Levi après 20 ans de carrière hospitalière, avec une large connaissance des enjeux de santé sur le territoire. J’avais envie de relever un nouveau défi en prenant la direction d’une entité plus réduite mais très engagée, à la frontière entre santé publique et droits humains, oeuvrant auprès de publics extrêmement vulnérables. J’ai trouvé un centre avec des soins spécifiques offrant le temps nécessaire aux patients, ce qui est désormais rare dans le droit commun… Même si en France, la population continue à être bien soignée par rapport à d’autres pays.
Quels étaient les défis à relever?
Ils étaient nombreux. Notre Centre existe depuis 30 ans. Alors qu’il a été pionnier en proposant des soins pluridisciplinaires, il est maintenant confronté au défi de renouveler son modèle économique, défi auquel sont confrontés tous les établissements de santé et plus spécifiquement ceux du monde non lucratif : comment faire mieux avec moins de moyens ? Nous n’avons d’autre choix que de continuer nos missions, et de montrer l’efficacité du système associatif pour répondre à des enjeux de société et de santé publique. L’autre grand défi était de trouver un lieu plus adapté pour les activités du Centre : c’est chose faite et nous sommes désormais installés dans nos nouveaux locaux. Enfin, 2024 nous a permis de préparer le renouvellement de la gouvernance du Centre Primo Levi et de nous engager dans une logique partenariale visant à nous donner une plus grande visibilité dans l’écosystème de la santé.
Comment se présente l’année 2025 ?
L’enjeu pour le Centre Primo Levi est aujourd’hui existentiel et notre priorité est de continuer à servir nos publics. Pour cela, nous devons trouver le soutien nécessaire à la poursuite de nos activités.
C’est une situation que connaissent tous les acteurs associatifs aujourd’hui, avec une contraction des financements publics et privés. Il y a un contexte international qui a entrainé une coupe des aides publiques internationales. Beaucoup de structures françaises qui bénéficiaient de programmes notamment américains- sont en recherche de nouveaux financements. La concurrence s’est donc accrue sur le « marché » de la philanthropie et des aides. ll y a par ailleurs un redéploiement des efforts budgétaires vers de nouvelles priorités, comme la défense, au détriment de dépenses sociales ou environnementales. Les associations en font les frais directement. Les financements privés se redéployent sur des thématiques jugées plus consensuelles. Le contexte politique est plus tendu, les thématiques qui concernent les questions d’immigration sont polarisantes. Nous prenons de plein fouet cette polarisation, avec une difficulté de financement plus importante que les années précédentes. Or les besoins sont grandissants, il y a des populations de plus de plus en plus fragiles qui ont plus que jamais besoin d’être soignées.
Comment continuer à agir avec des moyens en baisse ?
Nous allons redéfinir notre projet de soins, et notamment notre manière de travailler avec les acteurs du droit commun : centres de santé, établissements de santé, acteurs libéraux. La circulation entre le droit commun et notre Centre doit être plus fluide : en amont, avec une meilleure identification des besoins et une priorisation des demandes et en aval, lorsque nos patients vont mieux, un retour vers le droit commun avec des partenaires identifiés en lesquels nous avons toute confiance. Nous devons aussi travailler la question de la complémentarité avec les acteurs en présence sur le territoire, notamment ceux de la psychiatrie. Comment mieux s’articuler avec la psychiatrie ? Nous n’avons pas vocation à prendre en charge les urgences psychiatriques mais nous intervenons sur des parcours de soins de patients lourds, souffrant de troubles du stress post traumatique. Lorsque des personnes présentent un fort risque de décompensation, il faut être en mesure de les orienter vers un – ou plusieurs – établissement (s) partenaire(s) de façon plus intégrée, avec une participation croisée à des réunions de concertation par exemple. A l’inverse, une fois l’urgence passée, il faut qu’ils puissent être readressés vers notre Centre et pris en charge de façon fluide. La problématique est d’autant plus complexe que nous sommes désectorisés et que la psychiatrie, elle, travaille de façon sectorisée. La question de notre articulation avec les EMPP doit également être travaillée. Nous allons également réfléchir au développement de notre centre de formation, domaine dans lequel il y a d’importants besoins mais aussi une concurrence accrue. Au sein de notre centre de formation, les formateurs sont aussi cliniciens et ils s’appuient sur leur expérience pour transmettre. Leur nombre n’est donc pas extensible. Nous réfléchissons donc à de nouveaux formats numériques, à une façon plus innovante de proposer des formations. Nous aimerions toucher un public plus large à travers la France. Nous avons enfin un enjeu de plaidoyer, celui de pouvoir influencer les débats nationaux en proposant aux élus des projets de lois ou des amendements dans le domaine de la santé publique. Un plaidoyer qui veut être aussi collectif, notamment avec la Fédération des acteurs de la solidarité. Le seul moyen de continuer à agir avec des moyens réduits, c’est d’essayer d’être encore plus efficaces dans tous nos domaines d’action et convaincre de la nécessité absolue de l’existence de structures comme la nôtre pour compléter l’action publique.
Pourquoi avoir déménagé en 2024 ?
Nos anciens locaux étaient devenus inadaptés à notre pratique clinique. Etant donné que nos patients sont majoritairement parisiens ou franciliens, il fallait trouver des locaux dans Paris, clairs, lumineux, accessibles, ouverts sur un espace vert, avec un loyer abordable. Une cinquantaine de lieux ont été visités. Le projet devait se faire rapidement avec un cahier des charges exigeant. Il fallait à la fois loger un centre de soins, un centre de formation et des fonctions « support » sur un même plateau. Les locaux ont été pensés avec un cabinet d’architectes spécialisé dans les établissements recevant du public, pour favoriser la circulation des patients et des équipes. Ils ont été pensés pour ressembler davantage à une maison qu’à un hôpital, c’est-à-dire un établissement lumineux, à la circulation fluide, mais aussi contenant et chaleureux, pour le bien-être des patients et des équipes.
Le Centre Primo Levi fête ses 30 ans en 2025, que peut-on lui souhaiter ?
D’être en mesure de conserver son éthique de travail et son savoir-faire particulièrement qualitatif, tout en ayant la capacité de se transformer et de s’adapter au contexte actuel très contraint. On peut aussi lui souhaiter de résister à la tentation de déshumaniser le soin, donc de pouvoir continuer à avoir les moyens de son action et de diffuser largement sa culture de l’accueil et du soin.
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