Mémoires n°77 – mai 2020 Prix : 8 euros (papier) / gratuit (en ligne) ÉDITO Aux bons soins

Toute institution naît d’un refus.

Refus d’une fatalité, d’un ordre injuste des choses.

Si la vie humaine est en danger, si la dignité est bafouée, des hommes et de femmes se réunissent pour agir, fondent un groupe, le dotent de règles et le font vivre avec des rites et des rythmes qu’ils inventent ou reprennent.

Bientôt, une institution naît qui existe par elle-même au-delà des membres qui la composent.

Elle est une somme de réunions et d’actions, de déclarations, de pratiques, de méthodes, de règles ; elle est un lieu, un bâtiment ; elle est un budget et une comptabilité ; elle est une histoire, un nom, une devise ; elle est surtout un ensemble de personnes mais elle n’est incarnée dans aucune chair et ne dispose pour exister que de statuts d’encre et de papier.

Pour autant elle vit, elle naît, grandit et meurt, elle est une « personne morale » disent les juristes par opposition aux êtres humains qui sont des « personnes physiques » indiquant ainsi que quand il n’y a pas de corps fait de chair et de sang, il reste l’esprit.

Les institutions sont des Etats d’esprit.

Dans la conduite, l’animation et le développement des institutions il ne faut jamais oublier l’esprit qui a présidé à leur création, il ne faut jamais oublier de quel refus, de quelle révolte elles sont nées.

Le Centre Primo Levi est né du refus de la violence.

Sa clinique est née pour soigner et pour pacifier.

Chaque fois que notre institution s’éloignera de ce refus fondateur, de son idéal de soin et de paix pour elle-même et pour ses patients, elle le fera au risque de la violence institutionnelle, elle ira vers ce paradoxe douloureux du « soin qui fait mal ».

Chacun à la place où il se trouve doit avoir cette exigence fondamentale, cette éthique, à l’esprit.

Une institution est une somme de moyens mis au service d’une cause, une institution est un médiateur qui crée des liens, des solidarités entre les uns et les autres. Chaque fois qu’elle deviendra sa propre fin, qu’elle se refermera sur elle-même, elle s’éloignera de la promesse de ses débuts et elle ira vers sa fin.

Une institution est un mouvement, une somme d’actions pour aller de l’avant, innover et progresser. Rester fidèle à l’esprit de ses origines ce n’est pas rester figé dans un passé qui durerait toujours ; ce mouvement est inscrit dans notre devise : il s’agit de préparer l’avenir, il s’agit de « vivre après la torture ».

Nous sommes le Centre Primo Levi, nous sommes révoltés par la violence, nous agissons par le soin, nous sommes tournés vers les autres et nous préparons l’avenir.

Au Centre Primo Levi, cette exigence, cet équilibre, cette homéostasie, depuis 25 ans, pour l’essentiel, nous l’atteignons.

La crise sanitaire a montré que le niveau d’engagement de notre clinique, de notre équipe, auprès des patients est extrêmement élevé.

La révolte est intacte, décuplée par l’état de précarité inacceptable dans lequel certains de nos patients se sont retrouvés.

Cette crise a montré aussi, bien au-delà du Centre Primo Levi, l’immense utilité et l’immense noblesse de l’organisation, de l’intendance, de la logistique, donc des institutions de soin dans leur ensemble en tant que cadre pertinent pour agir efficacement.

Il est 20 heures au moment où je termine d’écrire ce texte, j’ouvre la fenêtre de mon appartement, le ciel est bleu et blanc. Ce soir mes applaudissements vont vers l’ensemble de l’équipe du Centre Primo Levi.

Antoine Ricard, président du Centre Primo Levi

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